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mercredi 10 avril 2019

Interview de Robert Pattinson et Claire Denis avec The Atlantic

Encore une intéressante interview croisée à lire !



Traduction française :

La première image du nouveau film de Claire Denis, High Life, est saisissante : un bébé, apparemment abandonné dans un vaisseau spatial. Finalement, ses pleurs sont apaisés par haut-parleur par le seul autre être vivant à bord, un condamné nerveux nommé Monte (Robert Pattinson). Ensemble, Monte et le bébé forment un couple inhabituel, et leur dynamique tout au long du film est chargée d'un sentiment de danger qui laisse place à une intimité touchante, voir étrange et émouvante. 

Tension mêlée de pathétique - il n'y a pas de meilleure façon de décrire les films de Denis, et sa relation avec Pattinson, une des plus grandes stars avec lesquelles la légendaire réalisatrice française a travaillé. 

High Life semble être un progrès remarquable pour les deux. Denis est une artiste brillante mais impitoyable dont les plus grandes œuvres (parmi lesquelles Beau Travail, 35 Shots of Rum et White Material) ont lutté contre le colonialisme, les romances tendues et la cruauté masculine. High Life est un changement important pour elle en termes de portée : C'est son premier projet qu'elle a tourné en studio, plutôt que dans des lieux réels. C'est aussi son premier film de science-fiction et son premier entièrement en anglais. Pendant ce temps, Pattinson est passé à autre chose depuis l'époque où il était l'idole des adolescentes dominant les tabloïds, surtout connu pour la saga Twilight. Il a depuis recherché des rôles dans des films d'art et d'essai et collaboré avec des réalisateurs passionnants tels que James Gray (The Lost City of Z), les frères Safdie (Good Time), et David Cronenberg (Cosmopolis et Maps to the stars). Parmi les projets à venir de Pattinson il y a des films avec Robert Eggers, Ciro Guerra et Christopher Nolan. 

La préférence évidente de l'acteur pour le talent artistique plutôt que la bancabilité commerciale garantie post-Twilight, explique son association avec Denis, mais les deux forment toujours un couple étrange. La semaine dernière, ils se sont posés dans les bureaux d'A24 (le studio indépendant qui distribue High Life) et ont discuté de la genèse créative du film, de la manière dont ils ont commencé à collaborer, et des qualités qu'ils admirent chez les stars de cinéma et les réalisateurs. J'étais la pour les interrompre occasionnellement ou les ramener sur le sujet, mais la majeure partie de la conversation s'est déroulée entre eux, illustrant ainsi leur lien créatif particulier (ce qui pourrait expliquer pourquoi ils prévoient déjà de travailler de nouveau ensemble). Cette interview a été modifiée à cause de sa longueur et sa clarté. 

David Sims : Comment vous êtes-vous rencontrés ? Quelle est l'histoire de Robert et Claire ?

Robert Pattinson : Nous nous sommes rencontrés à Los Angeles, il y a 5 ou 6 ans. J'avais déjà vu quelques uns de ses films et j'essayais de la rencontrer depuis des années. Avec High Life, j'ai été stupéfait d'apprendre qu'elle allait travailler en anglais. Je connaissais [son directeur de casting] Des Hamilton et je l'ai forcé à m'obtenir une rencontre. 

Claire Denis : C'est très drôle de penser à cela. Si je fais un casting pour un film, j'ai envie de quelqu'un; je veux que quelqu'un dise oui. Mais quand quelqu'un demande "pouvons-nous nous rencontrer ?" c'est effrayant, car soudainement je ne sais pas quoi dire. Je pense qu'il sera peut-être déçu. Peut-être que je ne suis pas la personne qu'il veut que je sois. Peut-être que ce qu'il voit dans mes films, c'est faux. 

Pattinson : J'ai remarqué cela avec quelques autres réalisateurs. Il y avait un autre auteur-réalisateur en Angleterre que j'essayais de rencontrer. Et j'étais pleinement conscient qu'elle essayait de m'éviter. Je suppose qu'en tant acteur, vous êtes tellement habitué à ce que les gens vous disent non tout le temps, vous supposez [qu'elle ne veut pas vous voir], mais j'ai découvert qu'elle était juste très timide et nerveuse à l'idée de me rencontrer. Et je me suis dit, Pourquoi ? D'un point de vue d'un acteur, vous n'avez pratiquement aucun pouvoir. Chaque fois que vous rencontrez quelqu'un, vous dites juste "S'il vous plaît," le chapeau entre les mains, suppliant. 

Denis : Je pense que ce pouvoir des [réalisateurs] de choisir quelqu'un et de l'acteur ou de l'actrice suppliant - j'ai toujours pensé que cette [notion] était fausse. Je supplie également quand je pense à un film. Je ne suis pas comme dieu. J'ai si peur de trahir quelqu'un ou de demander à quelqu'un d'être dans un film et ensuite de trahir le désir de cette personne. Je n'ai aucun pouvoir.



Pattinson : Je n'ai jamais compris quand les gens ont beaucoup de mal à [travailler] avec un réalisateur. Si vous savez que vous voulez travailler avec quelqu'un, vous devez en quelque sorte accepter que c'est ainsi qu'ils travaillent. 

Sims : Vous voulez dire que si l'ensemble de son oeuvre vaut la peine, quelque soit son comportement, ils doivent savoir comment ils l'accomplissent. 

Pattinson : C'est cela. Si quelqu'un est vraiment dingue ou autre, c'est un peu à vous de déterminer quelle est votre propre limite. J'ai travaillé avec des réalisateurs plutôt intimidants. Quand j'étais plus jeune, c'était beaucoup plus difficile à faire. Mais maintenant, je peux travailler avec un total psychopathe, et tout ira bien. 

Denis : Je comprends ce que tu veux dire... C'est un truc chimique, vous savez ?

Pattinson : Claire, je ne pensais qu'à une seule chose - quel était le processus de conception de High Life ? Parce que je me souviens que c'était vraiment compliqué. 

Denis : Quand j'ai commencé à écrire le scénario, je voulais un jardin, et la première [scène] a toujours été un jardin. Et ensuite, vous pouviez entendre un bébé pleurer, et ensuite, vous réalisez seulement en allant vers le bébé que ce jardin est dans un endroit étrange... Peut-être pas dans un vaisseau spatial, mais dans un endroit étrange. 

Ensuite, j'ai appris en travaillant avec cet astrophysicien Aurélien Barrau, que la forme du vaisseau dans l'espace n'avait pas besoin d'être aérodynamique, car il n'y a pas d'air. J'étais tellement abasourdi. J'ai dit : "Donc, cela peut être n'importe quoi ?" et il a dit, "une boîte, n'importe quoi. Une boîte à chaussure." Et j'ai dit, "Oh, prenons une boîte à chaussures." Le vaisseau lui-même doit être très simple. Comme une prison. Banal, Ces gars [à bord] sont des prisonniers. Ils ne sont même pas autorisés à voler dans un vaisseau spatial sophistiqué et élégant. 

Pattinson : J'essaie de savoir d'où vient l'idée originale. As-tu commencé en te disant, "Oh, j'aimerai faire un film sur l'espace," ou est-ce que c'est arrivé par hasard ?

Denis : Je n'avais jamais pensé que j'allais faire un film dans l'espace. Je pensais que j'allais faire [une histoire à propos] d'un homme seul avec son bébé. Pour moi, le lien c'est cette émotion lorsque deux personnes se rencontrent, comme lorsque Monte [le personnage de Pattinson] ouvre l'incubateur et regarde le bébé. C'est quelque chose qu'il ne s'attend pas à ressentir dans sa vie. Ce genre d'amour. 

Pattinson : Tu peux avoir un sujet incroyablement sombre [dans tes films], mais ils semblent toujours bons. Même si les personnages ne sont pas gentils les uns avec les autres, il y a un ton plein de bonté. Quand tu regardes les films, disons [du réalisateur franco-argentin] Gaspar Noé, il y a un aspect ludique, mais vous sentez presque que le réalisateur veut balancer de la merde sur les personnages, mais qu'il aime leur jeter de la merde. Tu présentes les personnages différemment, même quand ils font quelque chose de mal. 

Denis : Je ne peux pas m'imaginer filmer quelqu'un que je ne voudrais pas faire venir chez moi. Je me souviens quand j'étais jeune, quand je regardais les films [du réalisateur américain] Sam Peckinpah, avec tout ces horribles méchants. Warren Oates [L'acteur et collaborateur régulier de Peckinpah], par exemple - je l'adore. Quand il est mort, c'était comme si j'avais perdu quelqu'un de ma famille. Il a cette qualité d'être une personne aimable, même s'il fait des choses horribles. 

Pattinson : Il n'y a probablement pas de loi qui marche dans tous les domaines, mais je trouve que les acteurs qui joue toujours le héros, sont en réalité des personnes complètement folles. Et s'ils sont très à l'aise en jouant des méchants, ils sont généralement très gentils. 

Denis : Aussi avec Warren Oates et toi, quand je t'ai vu dans des films, j'ai senti qu'il y avait le personnage et quelqu'un d'autre à l'intérieur. Et ce quelqu'un d'autre, vous savez que vous allez aimer cette personne. 

Sims : Qu'avez vous vu de Robert avant de travailler avec lui ? Quelle impression aviez-vous de lui ?

Denis : En regardant ses films, je n'ai jamais vu que le personnage. J'ai toujours vu quelqu'un d'autre, quelqu'un [à qui] je veux dire, 'Hé, salut ! Qui es-tu ?" Je me soucie de savoir si quelqu'un à une âme intérieur qui est encore visible dans le film. [L'acteur américain] Robert Mitchum, par exemple. Quoi qu'il fasse, vous l'aimez ! Vous voulez le serrer dans vos bras ! Vous dites, "Oui, je suis là ! Je me cache près de la rivière, viens me chercher!"

Sims : Vous êtes moins sensible aux acteurs qui se transforment en une autre personne. 

Denis : C'est aussi quelqu'un dont vous aimeriez serrer la main. C'est la raison pour laquelle j'ai dit Robert Mitchum et Warren Oates - ce sont d'excellents exemples de personnes [comme] celle-là. 

Pattinson : Qui est le gars - j'ai lu quelque chose dessus l'autre jour - qui a réalisé Le cercle des poètes disparus ?

Sims : Peter Weir. 

Pattinson : Peter Weir avait un truc avec les casting : vous choisissez la personne et le personnage qu'elle joue est à l'opposé de ce qu'elle est. Donc, vous dissimulez la véritable identité dans la performance, et ensuite vous pouvez faire en sorte que la révélation de cette véritable identité, soit le "point culminant" du personnage.

Sims : Parce qu'Ethan Hawke voulait jouer l'extraverti [dans Le cercle des poètes disparus], n'est-ce pas ? Et Robert Sean Leonard voulait jouer l'introverti...

Pattinson : J'ai pensé que c'était vraiment intéressant. 

Denis : Si vous parlez de Peter Weir [qui est australien], j'aimerai parlé de [la réalisatrice] Jane Campion, car elle vient également de l'hémisphère sud. J'ai toujours cru que les gens venant de l'hémisphère sud étaient différents, ils sont meilleurs que nous [venant de l'hémisphère nord]. Je me souviens [du film] An Angel at My Table, de Jane Campion - Je me souviens du moment où le personnage principal, cet écrivain, quand ce n'est plus une petite fille, qu'elle est à Londres et que son premier roman va être publié. Soudainement, elle sait qu'elle doit gagner ce terrible combat contre le destin. Et il y a ce plan où elle nage dans la mer d'Espagne. Je me suis dis, Aha, maintenant c'est quelqu'un qui croit, en tant que public, que nous sommes heureux de la voir nager dans une mer chaude, car son livre va être publié. Et j'ai pensé, cette réalisatrice, Jane Campion... c'est quelqu'un. Je veux la rencontrer. Et nous nous sommes rencontrées !

Pattinson : Je me souviens que lorsque nous faisions High Life au début, j'ai toujours aimé que [mon personnage] Monte ait l'air dangereux. Je pensais que le public allait regarder cette histoire avec un sentiment d'appréhension. Voici ce gars instable, tout le monde est mort et il est avec sa fille. Je pensais vraiment que ce serait le cœur du film. 

Denis : Quand elle dort et que tu la regardes, et tu te dis, "Je pourrais te tuer ou me tuer."

Pattinson : Et quand elle atteint l'âge de 14 ans, elle devient soudainement une sorte d'adulte, dès qu'elle a atteint le stade où elle sait exactement ce qu'elle veut, tout à coup c'est quelque chose de très différent à gérer. Et vous ne pouvez pas gérer cela. 

Denis : "J'ai tout ce dont j'ai besoin ici." Quand elle dit cela, j'ai peur. 

Pattinson : Et cela fait un peu peur à Monte également. 

Denis : J'en suis sûr, car si j'ai peur, alors il a peur. Car je suis lui en quelque sorte. Vous devez être comme Monte d'une certaine manière, lorsque vous faites un film. Sinon, c'est ennuyeux de faire un film. 

Pattinson : Je ne comprends pas vraiment les gens qui font des films, car ils veulent juste faire un film. Les seuls réalisateurs que je comprends, c'est pour eux un accomplissement fantastique. Ils créent un monde afin de pouvoir vivre quelque chose qu'ils veulent ressentir, plutôt que d'avoir cette limite. [Le réalisateur] Robert Eggers, qui a fait The Witch et [le film à venir] The Lighthouse, il vient de la production de décors. Il adore trouver des choses venant d'authentiques phares. C'est comme d'avoir une maison de poupée pour lui. 

Denis : [Alfred] Hitchcock était probablement un peu comme cela. 

Pattinson : Et c'est étrange également, que [The Lighthouse] soit en noir et blanc, et qu'il obtienne le ton exact de ces costumes. C'est comme Quentin Tarantino qui filme tout le temps les pieds. Vous utilisez en quelque sorte l'excuse de faire un film pour avoir un certain contrôle. 

Denis : Mais Quentin Tarantino - je l'aime bien car parfois je partage des moments de joie totale. Peut-être pas dans tout ses films, mais...

Pattinson : Je pense que ça c'est un peu perdu dans le cinéma désormais. Vous ne voyez pas autant de personnages où un réalisateur les élève réellement et dit, "Ces gens sont cool ! Vraiment cool !" Ce n'est plus quelque chose qui se fait. 

Denis : Oui, comme se que ressent Tarantino pour la cascadeuse dans - quel est le nom du film ?

Sims : Boulevard de la mort ?

Denis : Oui, oui. Et elles conduisent, ces cinq filles et le tueur est derrière elles. Oh ! Cela pourrait durer une éternité pour moi. Je criais presque dans le cinéma. 


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