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mercredi 10 avril 2019

Interview de Claire Denis et Robert Pattinson avec I-D Vice


Traduction de l'interview :

Bien que cela se déroule dans un vaisseau spatial piloté par un docteur dérangé jouant à Dieu, High Life décrit des scénarios effrayants qui semblent étrangement possible sur Terre. Dans le nouveau film de l'auteur française Claire Denis, les prisonniers sont utilisés comme cobaye pour une expérience scientifique - ils sont obligés de saisir des rapports quotidiens dans un ordinateur pour rester en vie dans un isolement extrême et dans la peur. Mais la chose la plus effrayante n'est pas le vide infini qui les entoure, ce sont les actes sadiques qu'ils font lorsqu'ils sont désespérés. 
Denis a fait carrière en explorant les comportements extrêmes des humains, de la passion charnelle qui tourne au cannibalisme dans Trouble Every Day, à un amour tendre entre son père et sa fille dans 35 Shots of Rum. Née à Paris, mais élevée dans l'Afrique française coloniale, Denis est connue pour créer des films qui explorent les ravages du colonialisme. D'une certaine manière, High Life poursuit cette tendance alors que son antagoniste central exploite les corps de ceux qui l'entourent, dans le but de créer la vie dans l'espace. 

Le film suit un groupe de condamnés à mort qui est envoyé dans l'espace pour tenter d'exploiter l'énergie d'un trou noir. Sur le vaisseau spatiale, ils sont l'objet d'expériences sur la fertilité par le Dr Dibs, jouée par Juliette Binoche. Une méchante sorcière vêtue d'une blouse blanche, elle ne s'arrêtera devant rien dans ses tentatives pour créer la vie en dehors du système solaire. Le personnage de Robert Pattinson, Monte, essaie de s'abstenir, mais finit par être victime d'un complot du médecin et devient père. Il doit ensuite essayer d'élever le bébé alors qu'il est coincé dans l'espace, que l'équipage se réduit et que le vaisseau spatial tombe en morceaux. 

High Life est le 14ème long métrage de Denis et son premier avec une distribution entièrement anglophone. Les personnages parlent avec des accents américains, car elle voulait que le public se "rappelle un pays où la peine de mort existe toujours - comme dans certains États américains."

C'est son film le plus accessible au grand public à ce jour, non seulement parce que la barrière de la langue est supprimée, mais aussi parce que sa vedette principale est une célébrité. Dans un communiqué de presse pour le film, Denis a déclaré que quand elle a rencontré Pattinson pour la première fois, elle "a trouvé sa beauté intimidante," et qu'en l'observant davantage, elle "a commencé à devenir de plus en plus incertaine." "C'est vrai!" dit-elle, perchée sur une chaise dans une salle de réunion bien éclairée au siège social du distributeur du film, A24, à New York. "Oui, c'est vrai!" dit Pattinson en souriant, à l'autre bout de la table. "Non, je suis timide!" s'exclame Denis avec son accent français. "Je me suis dit que c'était peut-être trop pour moi. Maintenant, je connais sa beauté. J'y suis habituée, vous savez ? Ça ne me fait plus mal aux yeux." Pattinson éclate de rire. 



"J'avais peur qu'il voudrait peut-être immédiatement être comme le héros... Je voulais qu'il fasse partie de cette équipe envoyée dans l'espace. Mais ensuite, bien sûr, j'ai immédiatement changé d'avis, car ils étaient tous beaux, donc c'était presque banal." Les acteurs, dont André Benjamin et Mia Goth, sont effectivement tous beaux, mais ce sont leurs origines diverses dans la musique, le cinéma, le théâtre qui confèrent au film une qualité dramatique bien équilibrée qui le rend totalement captivant. 

High Life soulève de nombreuses questions éthiques sur le sexe, le consentement, la reproduction, la vie privée et la technologie, et se concentre sur l'idée des monstres. "Nous étions des ordures, des racailles, qui ne collaient pas au système, jusqu'à ce que quelqu'un ait la brillante idée de nous recycler," résume Monte sur un ton abattu lors des flashbacks de la vie des détenus sur Terre, avant qu'ils soient enfermés. Ces insultes sont jetés au visage de Monte et des prisonniers tout au long du film par le médecin - "Quand je t'ai vu pour la première fois, tu n'étais qu'un sale petit accroc au crack," "Vous êtes juste un groupe de criminels, des choses sales." Les prisonniers et le médecin peuvent être considérés comme des monstres, selon le point de vue. Aucun n'est absous de ses crimes. Alors que les actes du médecin deviennent de plus en pus cruels, la caméra de Denis s'attarde sur son visage douloureux et son corps balafré. Nous nous interrogeons sur les traumatismes réprimés qu'elle a également subi et qui ont contribué à son désir de commettre ces atrocités. 

Denis est célèbre pour créer des personnages nuancés et pour creuser profondément dans les fissures les plus sombres de la psyché humaine. Il s'avère qu'elle s'est sentie comme un monstre à l'âge de 18 ans, quand elle a accidentellement heurté quelqu'un avec sa voiture alors qu'elle apprenait à conduire. "Il pleuvait - la rue était une rivière," se souvient-elle. "J'ai freiné à cause d'un feu rouge, mais ma voiture a glissé et il y avait ce vieil homme sur une moto que j'ai percuté. Je suis sortie de la voiture et je l'ai regardé sur le trottoir. Il était vieux et il y avait beaucoup de sang qui coulait du casque. Avec la pluie, c'était complètement..." elle ramène ses mains sur son visage et mime le sang coulant. "Je me suis dit, 'J'ai fait quelque chose de terrible, j'ai tué quelqu'un.' J'ai eu l'impression d'être un monstre, d'une certaine manière. J'ai senti la responsabilité de quelque chose de terrible."

L'homme s'est avéré ne souffrir que d'une blessure mineure, aggravée par la pluie, dit-elle. Mais le sentiment d'être un monstre l'a marqué. "Vous ne pouvez pas oublier cela," dit-elle solennellement. Cette expérience a permis à Denis de comprendre pourquoi les gens essaient de trouver de l'humanité même dans les personnages les plus impitoyables. 

Pattinson se penche plus près, de l'autre côté de la grande table, captivé par son histoire. Son personnage dans le film prend et crée une vie, bien que l'on ne sache pas exactement comment son crime meurtrier s'est passé. Le style de narration fluide et réputé de Denis crée des moments fascinants, mais il peut laisser les téléspectateurs avec plus de questions que de réponses. Pattinson dit que travailler avec la réalisatrice lui a appris à faire confiance à ce processus et à ne pas savoir la réponse tout le temps. 

"J'ai réalisé quelque chose assez rapidement sur ce film, et depuis je m'y tiens, ne posez pas de questions, surtout si vous ne savez pas ce que vous faites!" dit-il en riant. "Si vous ne posez pas de questions, cela finira généralement bien par la suite. J'avais l'habitude d'harcerler les réalisateurs avec des questions sans fin, et vous réalisez que vous essayez simplement d'alléger vos nerfs, plutôt que de poser de vraies questions. Et vraiment, il n'y a rien à faire jusqu'à ce que vous le fassiez."

Denis fait remarquer que Pattinson n'a pas aimé ne pas savoir quelle direction prenait le film au début. "Il était terrifié !" dit-elle, rigolant. Les deux ont clairement une alchimie décontractée et la confiance nécessaire pour faire face ensemble à l'inconnu. 

Parfois, High Life respire le nihilisme - alors que les prisonniers se dirigent vers le trou noir, vous voyez l'espoir les quitter. Il est facile de se demander quel est l'intérêt de tout cela, comment et pourquoi ils pourraient glisser leurs corps hors de leurs lits superposés chaque matin. Ce film arrive à un moment où beaucoup de gens se sentent désespérés et remettent en question leur existence. La plus grande partie de la culture a sombré dans un endroit sombre - des beaux-arts à la musique hip-hop, les thèmes de l'aliénation, de l'isolation et de la dépression abondent. Denis résume : "Ce n'est pas une période très optimiste, si ? Pour être honnête." La seule chose que nous puissions faire, c'est d'affronter les conséquences. 

Denis dit qu'elle n'a pas décidé de faire un film de science-fiction traditionnel, elle voulait parler d'expériences vraies. Ainsi, alors que l'on flotte littéralement dans l'espace, High Life est profondément ancré dans la réalité. "Je n'allais pas faire la conquête d'une nouvelle planète pour créer une colonie de super êtres humains. Non," dit Denis en secouant la tête. "Je ne crois pas en ce genre de chose. Nous n'avons pas besoin de cela."

High Life explore les profondeurs du comportement humain pour nous montrer les pires scénarios possibles. Mais si sa mise en scène dans l'espace ne veut pas dire qu'il s'agit d'un film de science-fiction, son sujet sombre ne le rend pas complètement déprimant à regarder. C'est en fait le contraire. La résilience du personnage de Pattinson, Monte, et son indéfectible instinct nourricier pour sa petite fille, Willow, illustrent la force de l'humanité contre toute attente. De cette façon, c'est un film très réjouissant, même plein d'espoir. Alors que nous courons tous vers l'oubli, nous constatons que tout ce dont nous avons besoin c'est quelqu'un à aimer. 

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