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samedi 12 février 2022

Traduction de l'interview de Robert Pattinson avec GQ

Comme toujours les interviews de GQ valent le détour, alors en voici la traduction : 



Traduction :

Il est exceptionnellement beau. De grands yeux. De grands traits comme une sculpture italienne du 16ème siècle. Il est, contrairement à certains acteurs, plus grand que les gens ne le supposent. ("Beaucoup de fans disent : il est petit, il est petit ! Je ne suis pas petit putain !" dit-il. "Je suis corpulent. La plupart du temps, j'essaie d'être plus mince." Il a cette capacité à paraître différent de façon convaincante, à des degrés significatifs, dans de nombreux rôles différents. Ce n'est pas que les cheveux et le poids. C'est la façon dont il peut baisser ou augmenter un interrupteur interne pour bouger les yeux et la bouche et incarner un large éventail allant de l'américain crasseux à l'aristocrate français. Cela lui permet de travailler efficacement que ce soit en tant que rôle principal ou en volant la vedette dans une scène de 12 minutes. "C'est un caméléon," déclare Matt Reeves, le réalisateur de The Batman. "Récemment, Rob me disait qu'il n'avait jamais jouer de personnage avec sa vraie voix. La voix est l'une de ses façons de faire."

A Londres aujourd'hui, son accent naturel est net et ses paroles sont prudentes. Mais son rire est en roue libre et il ne peut s'empêcher de commencer par dire précisément ce qu'il ressent : "Je suis complétement déphasé !" Il n'est pas assez habillé :"Il fait froid ! Merde !" Et il ressent son âge (35 ans) :"Je ne peux rien faire !" On dirait un marchand d'art anglais après une foire d'une semaine à Hong Kong. Il devait être plus brillant il y a six jours.


Nous traversons Hollad Park, au pied de Notting Hill. Il y a 18h, le plan était de visiter le zoo de Londres, mais il a soudainement pensé à mieux. "Je parlais à ma petite-amie - la mannequin et actrice Suki Waterhouse - la nuit dernière et elle m'a dit : 'tu sais, les gens n'aiment pas vraiment les zoos...' J'avais pensé à quelque chose de métaphorique. Mais ensuite, je me suis dit que c'était mal, un ours triste tournant en rond." Il s'en est dissuadé. 

"Je ne peux pas m'en empêcher," dit-il. "Je le fait pour chaque élément, chaque décision dans ma vie. Quel est le pire scénario pour cette décision ?"

Jusqu'à présent, sa carrière a été façonnée par une combinaison de talent, de désir, de chance, de renommée et de choix audacieux. La célébrité est rapidement venue avec Twilght, la saga de vampires adolescents qui a rapporté des milliards de dollars et a préparé Pattinson a un chemin particulier. Les choix - de films plus petits avec des cinéastes singuliers - ont été magistralement planifiés pour s'évader de cette prison qui durait depuis une décennie et de cette carrière particulière. "J'évalue constamment les risques, ce qui rend tout le monde fou, j'essaie de prédire chaque élément qui pourrait éventuellement se produire. Et ensuite, à la fin, je me dis : Ah merde ! Je vais juste jouer un gardien de phare qui baise une sirène ! Je pense que c'est la bonne décision !"

Sa réputation à s'éloigner des gros films était tellement ferme ces dernières années que Reeves, qui pensait à Pattinson en écrivant The Batman, n'était pas sûr que Pattinson serait intéressé à revenir un jour des films d'art et d'essai. Mais une petite exposition grand public, par le biais de The Batman, était un choix tout aussi délibéré que de s'en détourner en premier lieu. Entrer dans la bat-cave, accumuler des gains, puis préparer un nouveau voyage dans des eaux cinématographiques plus risquées. C'était un plan. 

Les choses ont commencé sous de bons auspices lorsque le tournage a commencé fin 2019. "Puis, je me suis cassé le poignet au tout début, en faisant une cascade, avant même le COVID. Donc, toute la première section essayait de continuer à s'entraîner - ressemblant à un pingouin. Je me souviens quand cela semblait être la pire chose qui pouvait arriver." Bientôt, bien sûr, il y a eu des obstacles bien plus importants provoqués par la pandémie mondiale, qui a conduit à l'arrêt des productions, y compris celui précipité par son propre résultat positif "très embarrassant" en septembre 2020, alors que tout le monde devait revenir de la première pause interminable. Les retards ont finalement étiré le tournage sur 18 mois - soit environ le temps total que Robert Pattinson a passé sur le plateau de tous ces autres films combinés. 

Et pourtant, lorsque l'énorme production tournait à plein régime au milieu de la pandémie qui faisait rage, il se sentait reconnaissant - et même parfois coupable - d'avoir une distraction qui exigeait toute son attention. "J'ai toujours eu ce soutien avec Batman. Plutôt que de penser que vous êtes dépendant de l'actualité, vous pouvez vous sentir engagé sans en être paralysé. Toutes les personnes que je connais... si vous avez un petit élan dans votre carrière ou votre vie, puis que vous vous arrêtez, vous devez refaire un bilan. Alors que j'étais incroyablement occupé tout le temps, à faire quelque chose pour laquelle il y avait une grande pression, de loin la chose la plus difficile que j'aie faite... Je jouais toujours Batman à la fin de la journée, même si le monde pouvait prendre fin. Mais juste au cas où il ne prendrait pas fin..." Il le dit un peu plus tard :" Même si le monde brûle, j'ai pu faire ce putain de truc !"

Le plateau, à la périphérie de Londres, se manifeste comme "une bulle dans la bulle" dit-il. "Et la nature du tournage était tellement insulaire, toujours tournée la nuit, constamment sombre, je me sentais très seul. Même en étant dans le costume tout le temps. Vous n'êtes pas vraiment autorisé à sortir du studio avec le costume, donc je ne savais pas vraiment ce qui se passait à l'extérieur." Ils lui ont construit une petite tente à coté du plateau où il pouvait aller décompresser. Et surtout, il passait son temps à être bizarre dans le costume. "J'étais dans la tente à faire de la musique d'ambiance électronique dans le costume, en regardant à travers la cagoule. Il y a quelque chose dans la construction de la cagoule qui rend très difficile la lecture, donc vous devez vous pencher en avant pour voir à travers la cagoule."

Il l'a dit plusieurs fois, et je ne savais pas de quoi il parlait. La cagoule ?

"Le truc du masque. Le masque de Batman. La cagoule!" Des heures, des jours, des semaines, des mois, dans le noir, dans le costume, dans la cagoule. "Je n'arrêtais pas d'appeler cela un masque. Mais j'ai appris, non, non, c'est une cagoule."

Bien qu'ils aient fini de tourner The Batman en Avril, Pattinson semble tout juste sortir mentalement de la grotte. Il rit comme un fou quand il se souvient de ses heures solitaires dans le noir : "Je veux dire, j'étais vraiment, vraiment, vraiment mort après. Je viens de voir des photos de moi en avril et j'ai l'air vert."

A un moment donné, alors que nous entrons ensemble dans un restaurant à moitié bondé, ses yeux se concentrent sur un compartiment privé destiné à accueillir un groupe discret de convives. On lui dit que c'est réservé pour un autre invité. Vous voulez vraiment retourner dans la grotte, dis-je, et il rit d'un rire de stress  post-traumatique. 

"J'ai regardé un premier montage du film," dit-il, lorsque nous mangeons ensemble. "Et le premier plan est tellement choquant par rapport aux autres films Batman, c'est un rythme totalement différent. C'est ce que Matt disait dès ma première rencontre avec lui : 'Je veux faire une histoire policière sombre des années 70, comme The Conversation.' Et j'ai en quelque sorte supposé qu'il s'agissait de la planche de tendance ou quelque chose comme cela, son apparence. Mais dès le premier plan, c'est, Oh, c'est vraiment une histoire de détective. Et je me sens comme un idiot, parce que je ne savais même pas que Batman était 'le plus grand détective du monde'; je ne l'avais jamais entendu; mais c'est le cas. Juste parce qu'il y a beaucoup de moments où il est parmi les flics. Normalement, quand vous voyez Batman, il arrive et bat des gens. Mais il a des conversations, et il y a des scènes émotionnelles entre eux, ce qui, je pense, n'a été fait dans aucun des autres films."

Je rappelle à Pattinson que la dernière fois qu'il était dans GQ, il commençait tout juste The Batman, recherchant ce qu'il appelait "l'ouverture" dans un personnage qui a été joué dans tous les sens depuis des décennies maintenant. Je lui demande s'il y est parvenu. 

"J'ai définitivement trouvé un petit fil intéressant. Il n'a pas la personnalité d'un playboy, donc il est un peu bizarre quand il est Bruce et Batman, et je n'arrêtais pas de penser qu'il y avait un point de vue plus nihiliste. Car, normalement, dans tous les autres films, Bruce s'en va et retourne à Gothman en croyant en lui-même, en pensant qu'il va changer les choses ici. Mais ici, on sous-entend en quelque sorte qu'il a eu une dépression. Mais ce qu'il fait, cela ne marche même pas. Par exemple, cela fait deux ans et le crime s'est aggravé depuis que Bruce a commencé à être Batman. Les habitants de Gotham pensent qu'il n'est qu'un autre symptôme de ce merdier. Il y a cette scène où il bat tout le monde sur ce quai et j'adore qu'il y ai une petite partie dans le scénario où le gars qu'il sauve se dit : Ahh : C'est pire ! Soit vous vous faites agresser par des membres d'un gang, soit un monstre arrive et bat tout le monde ! Le gars ne sait pas que Batman est venu le sauver. Il ressemble à un loup-garou."

Pattinson rit fort. "Et j'ai essayé de jouer cela, à essayer de me dire.. et je vais mal m'exprimer, mais il y a ce truc avec le traitement des traumatismes...Toutes les autres histoires disent que la mort de ses parents est la raison pour laquelle Bruce devient Batman, mais j'ai essayé de décomposer cela, dans ce que je pense être une vraie manière, au lieu d'essayer de la rationaliser. Il a créé cette construction complexe durant des années, qui a abouti à ce personnage de Batman. Mais ce n'est pas comme s'il avait fait une chose saine." C'est comme une crise prolongée. "Presque comme une addiction," dit-il. Il y a un passage où Alfred demande à Bruce ce que sa famille penserait de lui entrain de ternir l'héritage familial avec sa nouvelle activité. "Et Bruce dit : 'C'est mon héritage familial. Si je ne le fais pas, alors il n'y a rien d'autre pour moi. 'Je n'ai jamais vu cela comme "il n'y a rien d'autres," ou "je n'ai pas de but.' Mais comme : 'Je vérifie.' Et je trouve que cela rend les choses beaucoup plus tristes. C'est un film triste. Il parle de lui entrain d'essayer de trouver de l'espoir, en lui-même et pas seulement dans la ville. Normalement, Bruce ne remet jamais en question sa propre capacité; il questionne la capacité de la ville à changer. Mais je veux dire, c'est une chose tellement folle à faire : je peux uniquement vivre en me déguisant en chauve-souris."

"DC est en quelque sorte une bande dessinée émo," poursuit-il en riant. "Il y a un côté nihiliste. Même le dessin est très très différent. Donc, j'espère qu'il y a beaucoup de gens tristes dans le monde."

Dehors, il fait froid, noir et c'est covidement nihiliste (en d'autres termes, vaguement DC,) et le temps rappelle à Pattinson que sa chaudière a récemment eu besoin d'être réparée. "Le gars est venu l'autre jour," dit-il. "Et il a commencé à dire qu'il était un fan de DC. Et j'étais assis là, regardant dans l'autre direction et ma copine continuait à discuter avec lui. Je la regardais en me disant : Tais-toi !" plaisante-t-il. "Pourquoi tu me fais cela ? Elle était très divertissante. Elle parlait juste à un fan obsessionnel."

Je lui demande s'il est anxieux de savoir comment cette entreprise qui a duré plusieurs années va être accueillie. Avec les super fans. Avec ceux qui savent ce qu'est une cagoule.

"Tout dépend. Si les gens aiment le film, c'est génial." Mais si non, je suggère, votre réponse si ce n'est pas le cas. "Vous ne savez jamais vraiment jusqu'à ce que cela se produise."

Alors que nous nous promenons dans Holland Park en début d'après-midi - le ciel semble à peine dégager le dessus de nos têtes - les yeux de Pattinson recherchent par réflexe des menaces. Il est incroyablement célèbre depuis l'âge de 22 ans et à chaque coin de rue depuis 13 ans se cache un fan ou un appareil photo ou un fan avec un appareil photo. Le parc, en ce jour d'hiver, semble inoffensif pour des yeux non avertis, mais Pattinson est plus avisé. 

Il y a quelques tables à l'extérieur du café du parc qui semblent être un endroit assez agréable pour s'asseoir et parler, mais il y a des vieilles dames qui discutent à proximité et un chemin qui passe assez près pour l'exposer potentiellement. "Hmm," dit-il, "Que diriez-vous..." Il nous entraîne dans une autre direction, vers un tas de matériaux de construction abandonné, où un banc fait face à une clôture. "Trouvons simplement la zone la plus terne, cachée dans un coin."

Je lui demande si c'est ainsi qu'il vit : constamment à la recherche de zones ternes cachées dans des recoins. 

"Oh, à 100%. En fait, si je vois un bar vide et qu'il n'y a pas d'ambiance, je me dis, Oooo!"

Les masques ont été une aubaine, dit-il. "C'est drôle avec tous ces anti-masques, car pour ma part, je porterai un masque pour le reste de ma vie. Je pense avoir gagné quelques années de vie grâce à la réduction du stress. C'est idéal quand tout le monde en porte un également, je ne me démarque pas. C'est incroyable."

Depuis la fin de The Batman, Pattinson a fait ses premiers pas derrière la caméra, agréablement dissimulé, après avoir signé un contrat de production avec Warner Bros. Il dit qu'il est "un terrible écrivain" mais "c'est vraiment vraiment vraiment satisfaisant de façonner des choses." Tout d'abord, il a quelques projets qu'il conçoit depuis un moment, assez longtemps au moins pour qu'il n'ai plus le droit de jouer dedans, et à la place il "veut trouver un inconnu." Il aime HBO Max, avec qui il travaille dans le cadre de l'accord avec Warner Bros, car "ils n'ont pas peur," dit-il. "Ils donnent l'impression d'être nouveaux et qu'ils essayent toujours d'établir leur identité. Et il y a de la place pour cela." Ce travail de création était en cours pendant qu'il tournait The Batman : "J'avais une bouffée d'énergie le matin. Je m'entraînais et j'avais environ 15 minutes avant d'enfiler le costume. Et littéralement, j'étais aux toilettes pendant 7 minutes le matin, et je me dépêchais d'écrire un email aux scénaristes."

Il décrit le frisson de lancer des émissions comme celle-ci, qui, comme le fait de jouer, nécessite son propre petit séjour personnel en enfer : "Je n'ai des idées que lorsqu'il y a une énorme quantité d'adrénaline. C'est ce qu'il me faut pour faire n'importe quoi maintenant. Je dois vraiment avoir l'impression que j'ai touché le fond. Jusqu'au moment où je dois jouer, je me dis : Wow, je suis une vraie merde." rit-il. "Vous devez ressentir la douleur. Et ensuite, tout à coup, c'est comme si Dieu vous donnez une petite friandise : voici une idée à laquelle vous n'aviez jamais pensé. C'est à vous."

Il consomme voracement le travail des autres. Il lit sans cesse, regarde tout, façonne son goût, son ton, jusqu'au bout et il s'en sert pour collaborer efficacement avec les réalisateurs afin de façonner des personnages bizarrement inédits. En 2019, dans The King, il joue un Dauphin maniéré en plein milieu d'un des films les plus discrets de tous les temps. "J'ai essayé de le faire sérieusement, mais ensuite j'ai parlé à quelqu'un chez Dior" - Pattinson est le visage de Dior Homme - "et j'ai commencé à les imiter et à le faire d'une manière plus amusante," dit-il. Il a transposé une figure de la mode française dans Shakespeare. "J'ai commencé à le faire comme si c'était une blague au départ, mais ensuite je me suis filmé, j'ai regardé le résultat et j'ai trouvé que cela fonctionnait un peu."

Pattinson a jeté une balle courbe dans Le Diable Tout le Temps en 2020, dans lequel il joue un prédicateur du Sud effrayant, qui séduit de jeunes paroissiennes et les manipule au sujet de leurs rencontres sexuelles. "Mais je pensais que celui-ci était censé être une comédie. Je me souviens avoir trouvé le scénario si extrême, avec des personnages monstrueux, je me suis dis que ça devait l'être." (Ce n'était pas le cas). 

C'est sa façon d'articuler son désir de voir quelque chose qu'il n'a jamais vu auparavant, en faisant quelque chose qu'il n'a jamais vu. C'est presque sa façon, pour paraphraser Gandhi ou Batman ou quelqu'un d'autre, d'être le changement dans le cinéma et le star système qu'il veut voir. Voici ce que ma version d'une star de cinéma peut faire - des preneurs ?  Jusque là, après Batman, pas vraiment. "C'est ironique que les deux films que je pensais être les films les plus sûrs à faire... tout le paysage de l'industrie change," dit-il. "Je pensais vraiment qu'après Batman, je serais beaucoup plus..." Il s'interrompt avec un véritable désarroi. On peut ressentir la chaleur qui émane de lui de son désir de trouver un plan réalisable. 

"Je crois l'avoir dit la dernière fois que j'ai fait une interview avec GQ," dit-il. "Avant Tenet, mes agents disaient : Ouais, tu n'es tout simplement pas sur la liste pour certains trucs. Et j'ai obtenu totalement par hasards ces deux films massifs. Et je me suis dis, Ok, suis-je sur la liste maintenant ? Et ils ont répondu, Ouais, tu es sur la liste maintenant, mais il n'y a pas de films." Il entend par là, le genre que de nombreux cinéastes et cinéphiles déplorent la non-existence. Un film avec des stars de cinéma pour adultes. Quelque part entre The Lighthouse (budget de 11 millions de dollars) et Tenet (200 millions de dollars). "Et c'est étrange : le chais de l'aiguille que j'essayais d'enfiler auparavant, devient encore plus petit maintenant," dit-il. "J'avais l'habitude de penser que j'avais un plan à relativement long terme, celui que j'avais après le premier Twilight de travailler avec des réalisateurs différents. Mais essayer de faire un plan maintenant, quand vous devez prendre en compte un doute existentiel, comme le fait d'être en compétition avec des adolescents pour le même rôle... Eh bien, il y a des loups partout."

Contre toutes ces préoccupations personnelles concernant sa carrière, il s'interroge également à haute voix sur les difficultés rencontrées par l'industrie au sens large pour rester le centre de la culture. "Même quand les films essaient : oh, faisons quelque chose qui capture l'air du temps, ce n'est pas possible si tout le monde ne le regarde pas en même temps. Les films avaient l'habitude de générer l'air du temps. Et maintenant, je trouve que contrairement à la musique ou à la mode, les films n'arrivent plus à suivre."

Il y a une exception cependant. Une petite lueur. Et cela est liée à la façon dont certains cinéastes, dit-il, semblent identifier des sous-cultures et organisent plus que de simples expériences cinématographiques pour ceux qui sont branchés sur la même fréquence. Il décrit la scène lors de la projection de Uncut Gems des frères Safdie, "où il y avait probablement 30 personnes dans le public, portant des chapeaux Elara." Elara Pictures est la société de production des Safdie, mais, grâce à des célébrités comme Timothée Chalamet (un fan) et Emily Ratajkowski (qui est mariée à l'un des producteurs), ils ont en quelque sorte une marque de mode par inadvertance. Il y a certains cinéastes, dit Pattinson, qui peuvent transformer des petits films en quelque chose de beaucoup plus grand - quelque chose qui se frotte - ou même définit - l'air du temps. Ou plus précisément : un air du temps. Il l'a également vu avec des fans lors des projections de The Lighthouse : "Ils étaient tous habillés de la même manière, comme des pêcheurs." Il dit que le réalisateur Robert Eggers a compris "comment faire ce croisement entre la mode et la musique." Pattinson l'a également vu lors de la projection de The French Dispatch l'année dernière. "Je pensais que c'était une projection à thème. Mais tous ces gens, ce n'étaient pas que des fans de Wes Anderson. Ils s'habillaient comme Wes Anderson."

C'est peut-être la meilleure explication, par une série d'exemples, de ce que Robert Pattinson a essayé de faire avec ses choix de carrière au cours de la dernière décennie. Ne pas travailler qu'avec des réalisateurs qui font de bons films. Travailler avec des réalisateurs qui dégagent une énergie si spécifique que les gens veulent à la fois voir leurs films et faire partie de la sous-culture qu'ils sont les seuls à pouvoir cultiver. Des réalisateurs qui donnent envie aux gens de s'habiller comme eux. "Si vous produisez un film qui produit également une culture à part entière," dit Pattinson, "je pense que les gens apprécient vraiment cela et y réagissent."

Pattinson est, cela devient de plus en plus clair à chaque promotion de film, l'un de ces types créatifs authentiquement étrange, avec une énergie sans fin et trompeusement chaotique qui est impliqué dans 10 000 choses tout en projetant un faux sentiment de passivité. Voici Pattinson, pas vraiment fan de sport, idéalisant le club de foot de ses amis : "il y a quelque chose de très agréable d'avoir quelque chose tous les dimanches, où vous vous dites, c'est ce que je fais. Alors que quand quelqu'un me demande : quels sont tes hobbies ? je répond : se faire du soucis. S'inquiéter à propos de l'avenir."

Il dit la dernière partie avec une sorte d'accent comique. Et ensuite il rit. Le sentiment - l'anxiété, l'incertitude de ce que le monde lui réserve, ainsi qu'aux autres - semble presque trop réel, comme des yeux tristes qui brillent derrière la cagoule de Batman. Cela me rappelle ce que Matt Reeves a dit à propos de Pattinson : qu'il n'a jamais joué un rôle avec sa propre voix, que la voix est son moyen d'incarner différentes personnes. Pattinson me dit que parfois, il invente simplement des propos dans une interview, afin d'avoir quelque chose à dire - et que parfois cela lui revient en pleine figure (par exemple, les commentaires qu'il a fait il y a des années sur le fait de ne pas se laver les cheveux le suivent encore aujourd'hui). Cela devient instable quand quelqu'un vous dit qu'il ment parfois délibérément. Mais j'ai l'impression que cela s'ajoute à plusieurs des histoires que Pattinson partage avec moi. Certaines sont honnêtes, d'autres sont fabriquées, et entre les deux, il y a un tas de rôles que Pattinson a joué en plus d'être une star de cinéma et une célébrité. Parmi lesquels : 

Marchand de porno (par le passé). Il volait des magazines dans un kiosque à journaux et les vendait à des camarades de classe en faisant un beau profit. A cause de cela il a été expulsé de sa première école. L'esprit d'entreprise était organique, irrépressible. 

Un faux vendeur de drogue (par le passé). "Je n'y ai plus pensé depuis des années, mais au lycée, ma première vraie petite-amie était un peu plus âgée que moi et je voulais toujours traîner avec les adolescents cools, qui étaient en dernière année. Et certains d'entre nous ont décidé que j'allais faire semblant d'importer de la drogue. Mais je ne savais même pas à quoi ressemblait la drogue. Donc j'ai eu l'idée de prendre des disquettes, d'utiliser la sorte de poudre à l'intérieur et de la vaporiser avec, par exemple, des produits de nettoyage pour qu'elle ait une odeur chimique, et de vendre le tout. J'ai acheté environ 40 disquettes et je les ai montré à certains ados qui avaient probablement 15 ou 16 ans et je leur disais : Ouais, j'importe de la drogue dans des disquettes." Il le dit comme une vraie pourriture. "Et tout le monde m'a cru. Et j'ai eu ce genre de réputation : ce gamin est fou. C'est un trafiquant de drogue ! Genre : Vous voulez essayer ? De la sciure avec du Febreze dessus ?"

Rappeur pirate (par le passé). Il était le seul qu'il connaissait à avoir les albums américains de Noreaga. Avec un ami ils prenaient les paroles de Noreaga, transposaient leurs voix sur un programme musical qu'il avait et envoyaient "leurs" raps au DJ anglais Hip-Hop Tim Westwood pour essayer de participer à son émission. "Ma mère venait dans la pièce et nous disions textuellement les paroles d'un autre, pensant que personne ne le découvrirait."

Imposteur en Skateboard (par le passé). "Je ne peux pas faire de skateboard, mais j'ai essayé autant que je pouvais, je me suis entraîné seul et à chaque fois qu'il était temps d'en faire, j'étais terrifié à l'idée de me blesser, donc je restais assis là, traînant le skateboard autour. Le faisant rouler d'avant en arrière, le faisant frapper des objets et y faisant quelques petites entailles, de sorte qu'il avait l'air d'avoir été utilisé. Mais je ne m'y suis jamais mis."

Concepteur de chaises (en cours). Il avait un studio à Londres. Mais maintenant, il fabrique des petites chaises en argile, des petites maquettes, les prend en photo, puis les envoie à un designer qu'il connaît et qui l'aide à les construire. Le premier, "un canapé fou", arrive bientôt. Il est obsédé par les chaises. Il pense à cela sans cesse. Quand il a du concevoir le logo de sa compagnie de production, il n'a pas arrêté d'envoyer aux gens des photos de chaises. 

Photographe (en cours). Et pas seulement des maquettes de ses chaises. Il était récemment dans un magasin, à la recherche d'un nouvel appareil photo et regardait sur Internet pour découvrir le type d'appareil qu'utilisait Daniel Arnold. "Je me suis retrouvé là, à regarder tout un tas de ses photographies," dit-il, "et finalement je me suis dit que cela n'avait rien à voir avec l'appareil photo, n'est-ce pas ? Comme pour tout, vous pouvez vous entraîner à voir les situations d'une manière différente - pour commencer à voir la surréalité qui est autour de vous."

Distributeur de pâtes (en cours, pour l'instant). Les lecteurs fidèles de GQ se souviendront peut-être qu'il y' a deux ans, Pattinson a essayé de démontrer son concept de pâtes portables via une interview Zoom, avec des résultats dévastateurs. Internet a perçu l'effort comme une cascade, ou du moins comme une performance d'incompétence. "Mais j'essayais vraiment de faire des pâtes," dit-il. "J'étais vraiment en pourparlers avec des usines de surgelées et j'espérais que cet article prouverait mon concept. Mon manager m'a dit : est-ce vraiment ce que tu veux faire ? Tu veux ton visage sur des pâtes ? Tu sais que tu dois aller à Walmart et vraiment en vendre, pour potentiellement très peu de retour." Il rit comme si c'était l'idée de quelqu'un d'autre. "Et une part de moi se disait : Y a-t-il un monde où cela fonctionnerait ?"

Tout cela pour dire : Pattinson semble avoir longtemps été doué pour être au moins deux choses à la fois. Quelqu'un d'authentique et singulier. Mais aussi quelqu'un de très doué pour se faire passer pour quelqu'un d'autre. 

Quand il a commencé à auditionner, chaque fois qu'il se présentait comme étant anglais tout en faisant un test pour un rôle américain, les agents de casting étaient inquiets. "Ils remettaient toujours cela en question : 'nous sommes inquiets pour l'accent...'"dit-il. "Donc, j'avais l'habitude de me présenter différemment, comme un américain. Je disais : 'Bonjour, je viens du Michigan'. Mais ensuite, je passais une audition pour Transformers 2, juste après la sortie de Twilight" - en d'autres mots, précisément au moment où Pattinson est devenu un acteur connu mondialement - "et j'y suis allé en disant que j'étais un gars de Denver. Et ils ont appelé mon agent et ont dit, 'Qu'est-ce qui ne va pas chez lui ? Pourquoi faisait-il une impro ? Une impro vraiment ennuyeuse ?'"

Et donc, il a commencé à auditionner en tant que Rob, pour le meilleur ou pour le pire. "Si je n'avais pas eu vraiment de chance," dit-il, "et si j'avais été obligé d'auditionner durant toutes ces années, je n'aurais pas eu de carrière. Je suis très mauvais pour cela." Il a de vifs souvenirs de s'être fait doublé par les autres acteurs de son âge. "Eddie Redmayne et Andrew Garfield étaient vraiment doués pour les auditions, c'est juste incroyable. Si vous attendiez à l'extérieur, vous entendiez les directeurs de casting à l'intérieur dire, Oh mon dieu ! Oh mon dieu ! Et vous vous disiez, Putain de merde, qui est à l'intérieur ? Et Eddie sortait en disant : Hey, mon pote. Je faisais quelque chose en pensant que c'était une comédie, et soudainement j'entendais des sanglots. Je me disais, qui a réussi à faire pleurer avec ça ? Et ensuite Eddie sortait, putain de merde."

Mais tout à coup, les jours où il dormait sur le canapé de son agent à L.A se sont terminés. "Elle vient de me dire qu'elle a toujours ma valise," dit-il, "remplie de mon linge sale de l'époque. Dans son garage, fossilisée."

Après Twilight, Pattinson a travaillé avec David Cronenberg, Werner Herzog, James Gray, Claire Denis. Mais aucune rencontre n'a semblé aussi électrisante que celle avec Josh et Benny Safdie, avec qui il a fait Good Time en 2017 : "Ils sont anarchiques. Mais ce n'est pas du tout hors de contrôle. Ce sont les seuls réalisateurs avec qui j'ai travaillé qui s'épanouissent dans le chaos, mais où ils gardent le contrôle."

Les frères Safdie semblent apprécier ce genre d'inconfort. Leurs films sont alimentés par cette tension venant des mauvaises décisions et du pire des scénarios. Et bien que le moniteur d'évaluation des risques de Pattinson suggère d'éviter les enfants du quartier qui aiment jouer près des lignes électriques tombées, Pattinson est, naturellement, ravi de cette proximité : "Ils sont très amusants, si drôle et courageux. J'aime graviter autour de cela."

Le niveau de célébrité de Pattinson peut être désorientant. "Cela peut être effrayant," dit-il. "Les gens pensent que vous avez une armée pour vous protéger, mais ce n'est vraiment pas le cas. Vous êtes seul. Vous devez avoir, je suppose une force mentale. Evidemment, c'est une vie incroyable. Mais comme tout, si vous ne pouvez pas l'éteindre... Même les personnes les plus proches de vous supposent que votre vie ressemble probablement plus à la façon dont elle est racontée dans les magazines. Même mes proches. Mais là encore, c'est tout l'intérêt : capter l'imagination des gens."

Nous marchons pas mal durant l'après-midi, d'une zone calme à une autre. Ses yeux semblent vraiment lire le monde comme un scanner thermique. D'un banc lugubre à des toilettes vides, à un chemin inoccupé à travers un parc. Et pourtant, il y a un gars qui nous attend avec un appareil photo. Avec le masque, Pattinson ne se décourage pas. Nous passons devant des enfants jouant au football et je lui demande s'il a déjà eu des illusions juvéniles sur le football. 

"L'opposé. J'ai toujours la même terreur quand je passe devant des petits enfants et que le ballon de football va sur le chemin. Je suis terrifié de le renvoyer, je redeviens un enfant de 10 ans, le lançant dans la mauvaise direction. Les gens se disent : Wow ! Quel idiot ! Je vais finir par avoir un enfant éventuellement. Donc je pourrais m'entraîner pour être un peu... pour pouvoir jouer au football avec un enfant de trois."

Il se sent vieillir. "35 ans, c'est définitivement l'année où les choses changent. J'ai vraiment prolongé mon adolescence jusqu'à environ 34 ans," dit-il alors que nous montons dans un taxi noir et commençons à traverser Notting Hill. "Je me souviens qu'il y a quelques années, je parlais à mon ami dans une jolie rue par ici. Il y a des années, j'ai toujours pensé que c'était tellement chichi, et maintenant ça à l'air tellement sympa. Je me demandais ce qui a changé dans ce coin ?..."

En vieillissant, tout en étant plus proche, il commence à voir sa famille d'une nouvelle manière, la "délimitation entre la personnalité" de ses parents, son père (l'introverti, le cynique, l'inquiet) d'un côté et sa mère (l'extraverti, la rieuse, l'émotionnellement accessible) de l'autre, et il se trouve entre le deux, ou plutôt, comme il le précise "se balançant de l'un à l'autre.  Les choses qui me rendaient fou à propos de mon père, à être tout le temps à contre-courant, constamment l'avocat du diable - je deviens comme cela."

De retour à la maison, plus proche de sa famille, Pattinson semble aborder une nouvelle étape de sa vie et de sa carrière. Bien qu'il ait pris ce que l'on peut qualifier d'innombrables bonnes décisions, il ne semble pas suivre de voie évidente. Ce qui est un fait qui ancre fermement Pattinson dans sa micro-génération. Il est dans cette tranche d'âge très spécifique de personnes (c'est à dire celles nées au milieu des années 80) qui ont grandi en voyant l'ancienne méthode - l'ont vu fonctionner depuis son plus bas échelon et le niveau d'entrée - avant de regarder l'industrie de leur choix se démonter au cours de la dernière décennie, alors qu'ils gravissaient un tas de vieux décombres et une nouvelle croissance pour atteindre le sommet de  ... quoi exactement ? De nombreuses personnes de son âge, dans des domaines professionnels différents, ont rencontré l'emoji haussant des épaules et ont envie de vomir. Pattinson est juste assez vieux pour avoir vraiment vu de près ce qu'il voulait - il a prévu un plan - seulement pour être confronté, quand ce fut son tour, au fait désormais évident qu'absolument personne ne sait ce qui va suivre. C'est passionnant. C'est terrifiant. C'est ce qui est tellement obsédant par rapport à sa carrière : "Je pensais vraiment qu'après Batman, je serais beaucoup plus..."

Il n'y a pas longtemps, il a eu une conversation avec son manager à propose de sa paralysie et de son indécision sur ce qu'il fallait faire par la suite sur tous les fronts - dont son prochain film. "J'ai dit : 'je ne veux pas faire d'erreur pour le prochain.' Et ensuite, mon manager a dit, ' je te comprends, mais plus tu attends...tu n'auras pas de films qui sort avant 2024. Et d'ici là, personne ne se souciera plus de ce que tu fais.' C'est étrange car jusqu'à il y a trois ans, nous avions en quelque sorte le même parcours professionnel traditionnel. Si tout se passe bien, cela continuera en quelque sorte. Et maintenant : dans quelle direction faut-il aller ?"

"Vous devez juste penser : Eh bien, mon plan c'est peut-être qu'un miracle se produira et que tout ira bien. C'est ce que tout le monde doit penser depuis deux ans. Juste : Uhh, je suppose que le plan est simplement d'espérer ?"

2 commentaires:

Chrys a dit…

Sacrée interview !!!
Hyper intéressante. Il a de très bonnes réflexions sur tout un tas de sujets. J'ai hâte de connaitre ses prochains choix.

Sabine a dit…

Oui, une fois de plus GQ a su faire une interview au top, on y retrouve son humour, ses doutes...
J'espère que durant la promo de The Batman un journaliste l'interrogera sur le projet avec Bong Joon-ho !