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vendredi 10 mai 2019

Nouvelle interview de Robert Pattinson et Claire Denis avec Dazed

Après la promotion américaine, il est l'heure de la promo anglaise avec la sortie de High Life outre-manche aujourd'hui !


Traduction : 

L'espace ne vous doit rien. La masse au-dessus de nous est un endroit où nos mœurs, nos passions et nos croyances sont réduites à des souvenirs lointains. On se fiche de la vie et de la mort, de l'amour et de la haine, du mental et du physique, du sacré et du tabou. Regarder dans l'espace, c'est être témoin de la possibilité d'une véritable transgression, d'une liberté terrifiante et galvanisante d'un vide où les règles qui maintiennent la Terre unie ne s'appliquent tout simplement pas. 

Ce n'est donc pas une surprise, que l'espace ait une emprise enivrante sur une cinéaste comme Claire Denis. Dans le premier film en Anglais de l'auteur française, High Life, un groupe de prisonniers voyage jusqu'aux abords d'un trou noir en échange de leur liberté. A bord, les détenus se voient proposer un autre pacte avec le diable : passer du temps seul dans un kiosque à plaisirs - connu sous le nom de la "fuck box" - en échange d'expériences sexuelles menées par Juliette Binoche avec une sauvagerie victorienne. Robert Pattinson joue Monte, dont le sperme est utilisé pour imprégner la prisonnière Boyse (Mia Goth) contre son gré, et qui est obligé d'élever l'enfant seul après que l'équipage ait été éliminé. Seuls ensemble dans l'espace, la relation père/fille dérive dans une obscurité qui va au-delà du platonique. 

"Quand vous enlevez tous les mécanismes de jugement du monde, comment vous comporteriez-vous ?" me demande Pattinson, tournant dans une impasse philosophique. "Comment agiriez-vous si vous saviez que personne ne peut vous juger ? Comment cela affecte-t-il notre compréhension de l'amour ?"

Denis a toujours été fascinée par ce qui se passe quand personne ne regarde. Dans son chef-d'oeuvre de 1999 'Beau Travail', Denis Lavant danse seul dans une boîte de nuit après avoir été viré de son poste chez les légionnaires français. Il tourne à travers l'écran comme un Wurlitzer délogé de ses mécanismes, enfin libéré d'une vie avec une homosexualité refoulée. Son premier film, Chocolat en 1988, suit une femme française dans un Cameroun colonial, où elle tombe amoureuse du serviteur de la famille. Contrairement aux libertés explorées derrière des portes closes dans Beau Travail, Chocolat raconte l'histoire d'un plaisir interdit et emprunt de préjugés raciaux à travers des moments de silence atroces. 

Pour exprimer l'appréciation de son travail et de ses dualités, Pattinson a donné à Denis une photo de la sculpture d'Henri Laurens datant de la seconde guerre mondiale "Le Grand Adieu". La forme d'un parent courbé sur son enfant pour créer une poche protectrice, la pièce était considérée comme un acte de rébellion contre l'oppression nazi, et une représentation de l'intimité et de la sensualité libre des liens familiaux qui prospèrent durant les moments les plus calmes. 

Pour un acteur qui a acquis une renommée mondiale après la saga Twilight, Pattinson a consacré la plus grande partie de cette décennie à investir dans des personnages imparfaits. Le coup le plus risqué de son répertoire - son rôle de braqueur de banque sujet aux accidents dans Good Time des frères Safdie (2017), par exemple - est un indice de sabotage de carrière. "Je veux travailler avec des réalisateurs où vous savez que, quoi qu'il arrive, vous serez dans leur film," dit-il. "Cela ne sera pas votre film." Seul à l'écran durant la plus grande partie de High Life, immergé dans la vaste absurdité de l'espace, Pattinson jouit d'une sauvagerie contrôlée qui semble plus libre et plus vraie que jamais. C'est à ce moment précis du diagramme de Venn qu'il a rencontré Denis. 

Parlez-moi de votre première rencontre avec Claire, Robert. Inspiré par le scénario, vous lui avez remis une photo d'une statue d'Henri Laurens. 

Robert Pattinson : Quand je suis entré en contact (avec Claire) pour la première fois, je voulais lui montrer des choses. Je pense que beaucoup de réalisateurs se seraient dit 'De quoi parlez-vous ?' La sculpture que je lui ai montré était celle d'une femme berçant son enfant. C'était une sculpture abstraite, mais je l'ai aimé car il y avait quelque chose dans la façon dont elle le tenait. Je savais que c'était quelque chose que je voulais intégrer au film. Je pense que je dérive, avec tout ce que je fais maintenant, dans une approche beaucoup moins cérébrale des personnages que je joue - mais plus dans ce que j'ai envie de faire avec eux. Claire est très ouverte pour permettre ce genre de processus. Au lieu de la manière traditionnelle pour parler d'un rôle et dire d'où vient le personnage, c'est une expérience complètement différente avec Claire. 
(On vous donne) toutes sortes de choses différentes comme des peintures qui vous inspirent, il n'y a pas beaucoup de logique là-dedans - c'est beaucoup plus lié à ce que vous ressentez. 



Claire, au départ, vous vouliez quelqu'un de plus âgé, comme Philip Seymour Hoffman, mais il est décédé durant les étapes de préparation du film. 

Claire Denis : Pour une raison très obscure pour moi maintenant, quand j'ai commencé la pré-production et fait des tests et rencontré Robert, j'avais peur qu'il soit trop jeune et trop beau. L'homme que j'avais en tête était un gars sans espoir, qui était dégoûté de sa vie, qui est allé là-bas pour trouver une façon monastique de finir sa vie. Je pensais que Robert était trop bien pour cela - pas en tant qu'acteur, mais en tant que jeune homme. Je me suis dit, 'C'est quoi ce bordel ? Ce gars doit encore être plein de vie.'

Robert Pattinson : Claire, tu n'as pas reconnu la profondeur de mon dégoût de moi-même ! Mais dès que tu m'as rencontré, tu l'as vraiment vu. (Rires) C'était juste là. 

Claire Denis : Non, j'ai reconnu la profondeur ! Je t'ai vu dans des films avant. Mais j'étais obsédée par l'idée d'un corps fatigué - épuisé, arrivant à la fin, tu sais ? C'est après t'avoir rencontré à quelques reprises que j'ai réalisé qu'il n'y avait pas de meilleur choix que toi et ta profondeur. Je me souviens avoir pensé, 'Je peux faire ce film seulement avec Robert maintenant. Sans lui, le film n'existe plus'. Pour être honnête, j'ai un problème maintenant : c'est difficile de t'oublier. Je ne peux que travailler avec toi; c'est dur d'imaginer de travailler avec quelqu'un d'autre. 

Robert, dites-moi comment vous avez découvert le travail de Claire et ce que cela a déclenché en vous. Pouviez-vous vous voir vous intégrer dans son monde ?

Robert Pattinson : J'ai vu White Material (le drame de 2009 avec Isabelle Huppert). Je suis (principalement) intéressé par deux types de performances : l'une avec une intensité insensée et des éclats lyrique, et l'autre si naturaliste que vous ne pouvez même pas dire si vous regardez un film ou non. Les films de Claire incorporent un mélange des deux. Elle crée un monde et ses films ont l'impression d'être très contenus en eux-mêmes. A chaque prise de vue, vous pouvez diriger la caméra dans n'importe quelle direction (et toujours avoir l'impression d'être dans le monde de Claire). C'est une chose très fluide et je suis devenu curieux de savoir comment cela fonctionnait. 

Claire Denis : Ma façon de diriger, les gens me regardent et en savent plus sur moi que moi-même. Il y a cependant quelque chose que j'ai toujours ressenti chez certains acteurs ou actrices. Avec Isabelle Huppert, par exemple, nous tournions au Cameroun (pour White Material) et tout le monde disait, 'oh mon dieu, ça va être un cauchemar pour elle d'être dans la brousse'. Non seulement cela n'a pas été un cauchemar, mais elle a amené son plus jeune fils avec elle et l'a mis dans une école dans le petit village voisin. C'était la personne la plus vivante de l'équipe, visitant toutes les forêts, tous les lacs et les volcans de la région. Le village l'a kidnappée, vous savez ? Et pour moi, il y a quelque chose comme cela avec Robert. Ils ne sont pas dans (le film), vous savez ? Ils y croient. Il s'agit de la confiance, bien sûr, mais c'est aussi comme de jouer avec un enfant dans les moments où il ne se passe rien durant le tournage et qu'on a l'impression que c'est une erreur. Je me souviens de la scène où tu jette les corps (du vaisseau spatial). Dans de tels moments, je ne veux pas dire aux acteurs qu'ils devraient ressentir ceci ou cela. C'est une communication non verbale, un sentiment. Chaque geste que tu fais dans cette scène, par exemple, j'étais avec toi, je faisais les mêmes mouvements intérieurement. Je ne sais pas si c'est une bonne façon de diriger, mais c'est génial d'être synchronisé. Et de croire. 

Robert Pattinson : Il y a une scène où je commence à me frapper au visage. Le lendemain, Claire est arrivé sur le plateau avec deux yeux au beurre noir : elle m'a regardé faire et a fait la même chose !

Claire Denis : C'est vrai ! Je me suis frappée. 

Robert Pattinson : Je retenais mes coups, mais Claire l'a fait pour de vrai. 

Qu'avez-vous appris sur le voyage mental que les humains peuvent entreprendre, pas seulement par le biais du voyage dans l'espace, mais en acceptant la possibilité d'un destin tragique ?

Robert Pattinson : Je pense que Claire en a déjà parlé, mais au lieu d'un film sur l'espace, c'est plutôt un film sur la prison. J'ai surtout regardé des choses sur les prisonniers condamnés à mort, en particulier ceux qui ont été condamnés quand ils étaient adolescents. Comment trouvez-vous la volonté de vous réveiller le matin alors qu'il n'y a littéralement rien ? Et puis, c'est difficile lorsque vous réfléchissez à ce qu'est la parentalité. Vous élevez un enfant, mais vous l'élevez sans but particulier. Normalement, vous élevez un enfant pour l'aider à avoir une bonne vie, le mener vers un bon chemin. Mais si vous les élevez dans une fausse réalité, vous devez vous demander, 'Est-ce que je les garde juste pour qu'ils soient mon compagnon ? Le seul objectif est-il de donner un sens à ma vie ?' Je pense que c'est le combat principal de (Monte). C'est aussi le fait qu'il croit clairement qu'elle ne rencontrera jamais personne d'autres, et c'est tout. C'est donc un énorme moment, quand ils voient l'autre vaisseau, et qu'ils réalisent qu'il pourrait y avoir des gens à l'intérieur. Il est aussi terrifié et il réalise qu'il pourrait ne plus lui suffire. Quand elle dit, 'Tu es la seule personne dont j'ai besoin,' c'est un moment tellement profond dans leur parcours. 

A quel point était-ce important d'impliquer un physicien comme Aurélien Barrau dans la réalisation du film en tant que conseiller ? Était-ce pour que vos représentations soient corroborées par les faits ?

Claire Denis : Aurélien a relu le scénario et je pouvais l'appeler tous les matins, mais il n'a jamais imposé ses connaissances; il a tout rendu simple. L'autre jour, je lisais un magazine scientifique et je lui ai posé des questions sur l'entropie, sur le fait que le cosmos soit chaotique ou non. Il me l'a expliqué d'une manière qui était complexe et belle, mais accessible. 

Robert Pattinson : Aurélien expliquerait des choses scientifiques avec un penchant vers le métaphysique. (Il m'a dit) que plus on s'éloigne de l'univers, plus le littéral devient étrange. Il y a une ligne dans le film sur le fait d'atteindre un certain point loin de la Terre, où tout en avançant, vous avez l'impression que vous reculez. La réalité physique dans l'espace devient soudainement assez poétique. Aurélien était si doué pour décrire ces termes, qu'il rendait les entités scientifiques assez magique. 

Claire Denis : Il m'a expliqué qu'il pourrait être possible d'entrer dans un très grand trou noir sans mourir et d'y rester un moment. Je me suis dit : 'Qu'est-ce que tu veux dire par là, "y rester un moment"?!' Et il m'a dit, 'Oui ! C'est quelque chose que nous avons étudié. C'est possible. Car le trou noir est assez vaste...' Cela m'a ouvert une porte. Un trou noir est si fort, si immense et si beau - soudainement je me suis préoccupée du cosmos. Pour la première fois de ma vie, j'ai compris que je faisais partie de quelque chose de grand et que je ne voulais pas me comporter mal sur Terre (en ce qui concerne le changement climatique), vous savez ?

Parlons de la fuck box. 

Claire Denis : Je pensais que ce serait génial s'il y avait un petit espace où (les prisonniers) pourraient être seuls. C'est la même chose avec le jardin (un endroit à bord qui simule un jardin ouvrier ou un potager). Je rêvassais un jour et je me suis dit : 'Sans un jardin, je ne peux pas faire ce film'. Ils doivent avoir ce petit bout de Terre à bord, vous savez ? Peut-être même pour pleurer, vous savez ? Peut-être même pour se masturber. Bien sûr, la fuck box est horrible, mais c'est une invention stupide pour faire croire à ces gens qu'ils peuvent avoir une sorte de libération. Ce qui n'est pas vrai. 

Le film semble suggérer que nous sommes tous capables de commettre des actes "tabous" d'une certaine manière. 

Claire Denis : Tabou, tabou, tabou... En groupe, tant de choses sont tabous pour protéger la communauté. Et pourtant, parce qu'ils sont nécessaires, c'est très intéressant de briser les tabous. Dès qu'un bébé a quelques mois, il veut désobéir, vous savez ? Je me souviens d'avoir pensé des choses comme cela quand j'étais jeune. Je n'étais pas une mauvaise enfant et j'avais de bons parents, mais d'obéir... de ne pas essayer d'enfreindre la loi n'est pas amusant. C'est la vie. Je ne parle pas de tuer, mais de (franchir) une barrière qui est vraiment excitante. En tant qu'enfant dans une famille, je me sentais un peu prisonnière. Obligée d'obéir, aller à l'école, apprendre mes leçons - mais je ne peux pas comparer cela avec le fait d'être condamné à mort. Je pense qu'il y a quelque chose de sauvage à propos de la prison. Je n'ai jamais eu besoin de lire Jean Genet pour imaginer à quoi cela ressemble. C'est sauvage ! Il y a tellement de passion dans un corps qui est arrêté et verrouillé, que les gens peuvent devenir très violents. 

Il y a longtemps, j'ai visité un centre pénitencier à la Nouvelle-Orléans. A cette époque j'avais les cheveux très courts comme un petit garçon et je m'habillais comme une adolescente. Je n'étais pas du tout féminine et je savais que j'allais dans cette prison, donc je me suis rendue invisible d'une certaine manière. Un policier me disait tout le temps, 'Souvenez-vous, pas de contact visuel.' Nous sommes montés dans un ascenseur avec un prisonnier et je regardais mes chaussures. Je pouvais voir les chaînes attachées à ses chevilles. Je me suis dis que j'allais m'évanouir, car j'avais l'impression qu'un contact visuel me tuerait. C'est exactement ça la prison : beaucoup de sentiments extrêmes. Bien sûr, j'ai eu un contact visuel avec une personne, et cela m'a fait penser que, grâce à notre regard, peut-être que nous pouvions toucher les secrets les uns des autres. Et que sont-ils ? Est-ce du désir ? Est-ce sexuel ? Est-ce violent ? Qu'y a-t-il dans ce contact visuel ? Où est le danger là dedans ? D'être attiré ? D'être rejeté ? Je ne sais pas, mais je ne l'oublierai jamais. Jamais. 

Monte est confronté à sa transgression à la fin du film. Robert, on a l'impression que vous minimiser consciemment ce moment à l'écran. 

Robert Pattinson : La relation entre Monte et (sa fille) Willow, et le film dans son ensemble, est si doux. Mais quand je l'ai lu pour la première fois, je l'ai vu comme l'histoire d'un homme qui a eu une fille parce qu'il a été violé et qui fini par avoir une relation avec elle. On n'a pas vraiment ce sentiment quand on regarde le film, mais c'est ce qui se passe ! Au tout début de ce processus, Claire m'a dit, 'Je ne crois pas en la moralité.' Elle dit que la moralité est une chose personnelle et que nous devrions tous, individuellement, y faire face. Je me suis dit que l'histoire (de High Life) était si intéressante, parce que quand vous enlevez tous les mécanismes de jugement du monde, comment vous comporteriez-vous ? Comment agiriez-vous si vous saviez que personne ne peut vous juger ? Comment cela affecte notre compréhension de l'amour, de ce que sont nos relations, quelle est la relation entre un père et une fille ? Quand vous n'avez qu'une seule personne dans votre vie, est-ce que vous recherchez toutes les relations dont vous avez besoin ? Willow devient sa mère à bien des égards, ainsi que sa fille et sa petite-amie. Et je suppose que c'est également le cas des tabous, pourquoi quelque chose semblerait-il pervers s'il n'y a personne d'autre autour ?

Claire Denis : C'était très important que le film commence avec Monte et le bébé. Si le film avait commencé avec Monte et une jeune fille, cela n'aurait laissé aucune chance à Robert, pour moi ou le public de croire qu'ils avaient inventé leur propre morale, tous les deux. Le fait de commencer avec un bébé, cela crée une vraie relation - peu importe ce qui se passera après, je ne vais pas juger. Mais il a réussi, et a eu le courage, de rester là pour elle, de prendre soin d'elle. Alors qui jugerait Monte et Willow ?

Robert, je me demande ce que vous avez pu apprendre en travaillant avec une personne avec une vision aussi singulière que Claire ?

Claire Denis : Il savait déjà tout !

Robert Pattinson : (Rires) Quand j'ai commencé à travailler sur High Life, c'était un environnement très différent de tout ce sur quoi j'avais travaillé auparavant. Claire est plus disposée que n'importe quel autre réalisateur à faire l'inverse de ce qui était prévu pour la journée. Et donc au départ, vous réagissez fortement contre cela, et c'est effrayant. Quelle que soit la préparation que vous avez faite, c'est soudainement jeté par la fenêtre, mais vous finissez par vous faire un peu plus confiance. De plus, en travaillant avec un bébé pour une période assez longue, vous devez être beaucoup plus réactif que d'habitude. C'était très très vivant sur le plateau. Je peux aller faire mes prochains films avec cette idée en tête, pour garder mes sens en alerte. Elle a crée cette liberté très sauvage. 

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