Traduction de l'article :
MATHIAS ROSENZWEIG : Oh mon Dieu, vous êtes tous tellement rapides !
JENNIFER LAWRENCE : Oh, je devrais raccrocher et revenir plus tard ?
MR : Ce serait génial. Merci beaucoup.
JL : Je viens de me réveiller d'une sieste et je n'ai pas mis d'anticernes. Je m'excuse pour mon apparence générale.
MR : Tu es parfaite. Je m'excuse aussi pour la mienne. De plus, nous n'enregistrons que l'audio, donc personne ne verra rien.
JL : Merci. Rob, si tu fais une capture d'écran, je te jure…
ROBERT PATTINSON : [Rires]
MR : Jennifer, Martin Scorsese vous a envoyé ce roman, en vous disant qu'il vous imaginait bien dans le rôle principal. Quelles ont été vos premières impressions ?
JL : Martin m'a proposé le rôle. Je l'ai donc lu d'une traite, le jour même. Et comme vous pouvez le constater, après l'avoir lu, il semble très difficile de l'adapter au cinéma, car il est très profond et intense, mais tout est raconté du point de vue du personnage. Tout se passe dans sa tête. Je me demandais donc comment cela se traduirait à l'écran. Mais Lynne Ramsey est, à mon avis, la réalisatrice la plus poétique de notre époque, et je savais que seule elle pouvait réussir un tel projet. De plus, je rêvais de travailler avec elle depuis toujours. Nous lui avons donc proposé le film, et je n'en reviens toujours pas qu'elle ait accepté.
MR : Rob, même question pour vous, que ce soit à la lecture du livre ou du scénario. Quelles ont été vos premières impressions ?
JL : Je doute fort que Rob ait lu le livre.
RP : Elle dit ça en se réveillant de sa sieste et en buvant un Celsius !
JL : Tu l'as lu ?
RP : Bien sûr que oui !
JL : Oh, je m'excuse.
RP : Le livre est incroyablement traumatisant. J'ai d'abord lu le scénario, et il était plutôt drôle. Je pense qu'entre la première et la deuxième version, le scénario a beaucoup évolué, et aussi pendant le tournage. Dans le livre, son mari est un peu un artifice narratif. Il est complètement inutile. C'était plutôt agréable de voir comment l'histoire a évolué naturellement vers une relation plus profonde. La première version du scénario était d'ailleurs beaucoup plus fidèle au livre. Mon personnage était beaucoup moins présent.
JL : Eh bien, c'est grâce à toi. J'ai l'impression que même dans la version finale, le renforcement des personnages masculins a permis qu'il ne soit pas simplement exaspéré par ses frasques, et c'est entièrement grâce à toi.
MR : Le personnage de Jackson est nettement plus présent que dans le livre.
RP : Vous le détestez presque dans le livre.
MR : En parlant de le détester, qu’avez-vous pensé de vos personnages ? Robert, appréciez vous Jackson ? Jennifer, appréciez vous Grace ?
RP : Je trouve que c’est une façon très intéressante de raconter une histoire d’amour. J’ai souvent vu ça dans la réalité : quelqu’un comme Jackson, qui vit avec une personne souffrant de troubles mentaux très complexes, et qui est non seulement probablement un peu plus instable, mais aussi plus intelligente, plus ambitieuse, bref, plus tout. On a juste un homme qui n’est pas vraiment à la hauteur, mais ça n’altère en rien son amour pour l’autre. Il se dit simplement : « On avait une si belle relation. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi ? » Je ne comprends pas pourquoi j'ai l'impression de vivre dans un monde complètement déconnecté de la réalité". Sa seule façon d'y répondre, c'est de dire : « Je ne sais pas, je vais t'emmener à l'hôpital. » Je viens de réaliser que c'est une véritable affirmation : les garçons qui disent : « Pourquoi tu agis comme une folle ?» Et les filles répondent : « Je ne fais pas semblant, je suis vraiment folle ! »
JL : Je partage l'avis de Rob. Son personnage n'avait tout simplement pas les outils nécessaires pour gérer la situation. Mais je crois que ce qui est vraiment remarquable dans le film, et qui ressort encore plus que dans le scénario, c'est qu'on voit vraiment à quel point ils s'aiment. J'aime bien Grace. Elle n'a jamais été dangereuse pour moi ni pour ma famille, je l'ai trouvée plutôt drôle. Mon instinct me poussait toujours à être plus empathique envers le personnage de Rob, car je suis une épouse et je suis responsable du quotidien d'une autre personne. Je devais donc me forcer chaque jour à prendre du recul, car ce n'était pas le cas de Grace. Elle n'avait aucune pitié pour Jackson. Elle vivait une vie très particulière.
MR : Dans quelle mesure improvisiez-vous ou essayiez-vous de nouvelles choses pendant le tournage ?
JL : Même quand ce n'est pas de l'improvisation pure et simple, avec la création de nouvelles répliques, tout change dès qu'on commence les échanges. Dès que quelqu'un dit quelque chose d'une certaine façon, l'énergie change, et ça influence la façon dont on répond. Surtout avec Rob, ça arrivait presque tous les jours. Parfois, une dispute était plus drôle que ce qu'on avait imaginé. Lynne est une observatrice hors pair, très ouverte et sincère. Elle se fiche qu'une scène censée être sérieuse soit aussi drôle. Elle fait confiance à son intuition plus que tous les réalisateurs avec lesquels j'ai travaillé. Le scénario était assez abstrait, et il y avait une scène centrale sur laquelle j'avais basé toute ma compréhension du personnage. C'était une scène de dialogue de quatre pages. On arrive sur le plateau, et Lynne dit : « Je crois que je vais couper tous les dialogues. » Et moi : « Quoi ? C'est ma scène la plus importante ! »
MR : J'imagine que pour un acteur, ça a dû être un peu déstabilisant.
JL : Je crois que Rob a versé quelques larmes.
RP : Avoir un enfant juste avant le début du tournage, on se dit soudain : « De toute façon, je ne maîtrise plus ma vie. » C'est plutôt agréable. C'est même assez libérateur.
MR : Vous étiez tous les deux dans la même situation que vos personnages respectifs, avec de très jeunes enfants et en devenant parents pour la première fois. Quelles conversations sur la parentalité ce film a-t-il suscitées, que ce soit entre vous, avec vos amis, vos conjoints, ou même en votre for intérieur ?
JL : Tous ceux qui ont des bébés ou des enfants en bas âge savent qu'on ne parle que de ça. Rob et moi, on ne parlait que de ça : nos enfants. Il avait un nouveau-né et il faisait des allers-retours tous les week-ends pour être avec eux. Mais personnellement, j'ai vraiment eu du mal à concilier mes instincts et ceux de Grace. C'est cent fois plus difficile quand on a ses propres instincts parentaux, vous savez ?
MR : J'imagine que vous pouvez avoir beaucoup de compassion pour Grace, parce que vous comprenez ce qu'elle vit, qu'elle est victime d'elle-même et de ce monde. Mais en même temps, elle est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en tant que parent. Vous ne voulez pas que Grace garde vos enfants.
JL : Vous ne le voulez pas. Et je me souviens d'un détail qui m'a vraiment alertée et dont j'ai fait part à Lynne. Je lui disais : « Lynne, personne ne sortirait son bébé endormi de son lit. Fermer la porte de la chambre quand bébé dort, c'est le plus beau cadeau qu'on puisse recevoir en tant que parent. » Et elle me répondait : « Non, elle s'en fiche complètement. » Alors j'ai fait : « Ah, d'accord. »
MR : Rob, et toi ? Quelles conversations sur la parentalité le livre ou le film a-t-il suscitées ?
RP : Ca peut paraître un peu immature…
JL : Oh mon Dieu !
RP : Mais, tu sais, on s'inquiète toujours avant d'avoir un enfant. On se dit : « Mon Dieu, je vais tout gâcher ! » Et puis on voit un film comme celui-ci et on se rend compte qu'on peut faire bien pire.
JL : Je me suis aussi senti comme un super parent après avoir vu ce film.
RP : Quand je vois des parents qui sont complètement détendus face au chaos, je ne peux pas gérer un tel niveau de chaos : des bruits de toutes parts, des cris, de la musique à fond, des objets cassés. Et certains trouvent ça tout à fait normal. Moi, je me retrouve à pleurer dans mon coin.
JL : Il pleure beaucoup.
MR : Comment s'est passée votre collaboration ?
JL : Rob a apporté une profondeur incroyable au film. Il a su donner une véritable profondeur à son personnage, ce qui m'a permis de me confronter à des situations bien plus complexes. Je n'avais jamais travaillé avec un acteur qui vivait une situation aussi similaire à la mienne, celle de jeunes parents. C'était vraiment formidable et cela a créé une confiance naturelle. Du coup, pour les scènes de folie, vous savez, où on se déchaîne nus comme des tigres, il y avait une confiance supplémentaire. Rob est incroyablement intelligent et vraiment adorable. C'était génial. J'ai adoré travailler avec Rob. Rob ?
RP : J'ai beaucoup apprécié Jennifer. C'est bizarre, on ne s'était pas vraiment rencontrés avant le tournage, ce qui est étrange vu le nombre de points communs dans nos vies. Mais j'ai toujours eu envie de travailler avec elle. Avant de travailler sur le film, je discutais avec elle d'autre chose, et elle m'a juste dit : « Au fait, est-ce que tu voudrais jouer mon mari dans ce film de Lynne Ramsay ? » J'étais là : « Quoi ? Pourquoi ? » Parce que je n'y avais même pas pensé. C'était une conversation tellement bizarre, et je traversais une période assez étrange de ma vie à ce moment-là, en me demandant : « Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de boulots intéressants ? » C'est une actrice phénoménale et c'est un vrai plaisir de travailler avec elle. Jennifer, tu n'es pas agaçante.
JL : Je ne t'ai pas trouvé agaçant non plus. Ce qui est assez extraordinaire, pour être honnête. C'est rare.
MR : Vous êtes tous les deux des vétérans d'Hollywood. Avez-vous encore des appréhensions à l'idée qu'un film, jusqu'ici si médiatisé, devienne aussi public ? Qu'est-ce que ça fait ?
JL : C'est vraiment terrible, et cette expérience ne fait qu'amplifier mon angoisse, car j'ai plusieurs expériences où j'ai travaillé tellement dur sur un projet, je l'aimais profondément, puis il sort et le public dit : « Bouh ! Je le déteste ! » C'est horrible. Et pourtant, d'une certaine manière, je lis un scénario, je rencontre le réalisateur, on arrive sur le plateau, on commence à tourner, et j'arrive à oublier que cette étape du processus va arriver. Je suis vraiment chanceuse. Mais ces quelques mois sont vraiment angoissants. Mon mari était complètement perdu, car il n'a pas autant d'expérience dans ce domaine. Alors je lui parlais de mon anxiété, et il m'a dit : « Mais le film est incroyable !» Et je lui répondais : « Je sais, mais ça n'a pas d'importance. Les gens ne le comprendront peut-être pas.» Et il a rétorqué : « Mais ils ont tort.» Comme si c'était censé me rassurer.
MR : Le film se termine différemment du livre. Avez-vous trouvé la fin porteuse d’espoir ?
JL : Je l’ai perçue différemment car, pendant le tournage, j’étais maman d’un enfant et j’ai vécu un post-partum merveilleux. Bien sûr, c’était difficile, mais j’ai tout de suite créé un lien avec mon fils. Je n’ai pas rencontré les mêmes difficultés que Grace et j’étais enceinte de mon deuxième enfant. Du coup, je pense que j’avais naturellement une vision plus optimiste des choses. Alors, quand on a tourné les scènes dans la forêt, avec l’incendie, etc., j’ai vu ça comme une renaissance, quelque chose de très optimiste. Le fait qu’il la poursuive, c’est peut-être différent, peut-être nouveau, mais elle ne rebrousse pas chemin, il ne la laissera pas partir et il la suivra. Et puis, après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai vraiment souffert d’un post-partum difficile et je me suis dit : « Oh non, peut-être qu’elle s’est retirée du monde. » Parce que parfois, quand on est au plus bas, on regarde cette chose parfaite et on se dit : « Je suis la seule chose qui pourrait clocher chez toi. Et si je te faisais du mal ? » Alors j'ai commencé à y réfléchir différemment.
RP : Du point de vue de Jackson, il y a quelque chose d'un peu ambigu. Quelque chose de profondément romantique, à mes yeux, dans le fait que deux personnes, même si elles sont condamnées à répéter sans cesse la même chose, soient liées l'une à l'autre pour l'éternité par ce même destin tragique.
JL : En enfer.
RP : J'adore cette scène où il tente de se défendre et lui lance : « Tu es la pire personne que j'aie jamais rencontrée ! » Et puis, aussitôt, il change d'avis et s'écrie : « Je peux faire mieux ! Je peux faire mieux ! » C'est exactement ce qu'on ressent dans ces situations où l'on essaie de comprendre une situation comme celle-ci sans forme de logique ; c'est tout simplement impossible, mais notre cerveau persiste à croire qu'il doit bien y avoir une explication logique. Et je pense que c'est aussi une forme d'amour, même si cela peut être lié à notre propre bon sens. Il est peut-être simplement difficile de faire la distinction entre les deux.

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