Traduction de l'interview :
Comme ses films, le lien entre Claire Denis et Robert Pattinson défie les catégorisations habituelles et donne le sentiment d'être forgé par une émotion profonde. Cela ne semble pas être filiation maternelle, et la volonté de Denis de laisser sa vedette faire des découvertes avec un long projet comme High Life suggère que ce n'est pas strictement professoral. Denis et Pattinson ressemblent à des collègues devenus amis grâce à leur collaboration. Le talent de Pattinson pour transmettre des désirs refoulés se traduit bien en jouant un protagoniste paradigmatique typique de Denis, un solitaire impénétrable qui vacille au bord de la transgression.
Alors que chacun admire le travail de l'autre depuis plusieurs années - Pattinson depuis qu'il a vu White Material, et Denis depuis qu'elle l'a vu dans Cosmopolis et la saga Twilight - leur partenariat dans High Life arrive à un moment fortuit pour les deux. Le film affirme le statut de Pattinson comme l'un des personnages clés de la décennie dans le cinéma d'auteur et réaffirme le statut de Denis à l'avant-garde du cinéma mondial. Et la distribution du film par A24 aidera à faire en sorte qu'elle reçoive enfin une sortie à l'échelle de son art.
Le jour de la sortie américaine de High Life, J'ai discuté conjointement avec Denis et Pattinson du parcours pour porter le projet à l'écran. Nous avons commençons par cette nuit fatidique où Pattinson est tombé sur le travail de Denis et nous avons parlé de la manière dont son personnage, Monte, un prisonnier ascétique, est pris au piège dans une mission visant à exploiter l'énergie d'un trou noir, en passant de l'imagination de Denis à la réalisation de Pattinson.
Robert, vous avez mentionné que White Material avait été votre porte d'entrée dans les films de Claire. Qu'est-ce qui vous a amené à travailler avec elle ? Est-ce que votre impression sur la façon dont elle travaille avec les acteurs pour qu'ils habitent leur physicalité et laisse tomber leur conscience de soi était exacte ?
Robert Pattinson : Quand j'ai regardé White Material, il était 2 heures du matin en Louisiane. Je tournais le dernier film Twilight, je m'étais endormi et quand je me suis réveillé, le film avait déjà commencé. C'était vraiment inhabituel que le film soit sur cette chaîne au départ. Et de se réveiller devant cela - on a l'impression de passer d'un rêve à un film. Je me souviens juste de l'image d'Isabelle Huppert se tenant à l'arrière d'un camion. C'est une image si frappante. C'est bizarre, mais cela prend presque plus de sens désormais, pour montrer la force de sa féminité. Ce n'est pas comme si elle portait une armure, en essayant de ressembler à un mec, mais elle à l'air si puissante alors que sa jupe vole avec le vent derrière elle. Vous pouvez voir que quelque chose ne va pas, mais l'expression sur son visage - vous savez immédiatement qu'elle est une dynamo. J'adore cette performance.
Je me souviens avoir envoyé un mail à mon agent cette nuit à 4h du matin, disant que Claire Denis était "l'élue". J'en ai parlé à d'autres personnes et ils m'ont dit, "Claire a fait beaucoup de films, de quoi parles-tu ?" Mais il y a quelque chose sur celui-là qui donnait le sentiment d'être nouveau. Il y avait quelque chose dedans, les performances d'abord, qui donnaient l'impression qu'il fallait que ce soit fait. C'est ce que je recherche chez un réalisateur.
L'un de vous voit-il des similitudes entre Maria Val dans White Material et Monte dans High Life ? Tous deux conservent leur autonomie corporelle et leur espace avec une telle intensité.
Claire Denis : Ils ont tous les deux un enfant !
Pattinson : Je suppose qu'il y a quelque chose d'autonome où ils existent par eux-même dans une réalité légèrement distincte de celle de tous ceux qui les entourent. Je pense que Maria est plus connectée à son environnement. Il ont certainement quelque chose qui manque. Je regardais cette chose hier, ces surfeurs portugais qui surfent des vagues géantes à Nazaré. Ces gars surfent des vagues de 45 mètres. J'ai vu une interview avec un gars, qui a un fils de 4 ans et une petite-amie, où ils regardent ces vagues de la taille d'une montagne et il dit "On dirait que c'est une bonne journée de surf aujourd'hui !" et son fils le regarde. Certaines de ces personnes ont une configuration mentale complètement différente. C'est excitant de voir quelque chose qui vous fait dire "Vous allez mourir". Désolé, ce n'est pas particulièrement pertinent !
Denis : Non, ce n'est pas hors propos ! Je suis intéressée par les gens qui surfent. J'ai vu une de ces vagues, à Tahiti. Je la voyais pour de vrai et je me suis dit, "Comment les gens peuvent croire sans un doute que c'est une chose géniale à faire ?"
Pattinson : C'est dingue !
Denis : J'étais tellement surprise. Ils étaient là à attendre et ils avaient l'air sain d'esprit. Ils ne semblaient pas fou, vous savez ? Ils avaient l'air excité, heureux. Donc, je pense que vous devez être comme - Isabelle, si elle avait décidé de surfer, elle aurait été une surfeuse folle ! Elle apprécie vraiment un certain type de danger, vous savez ? Contrairement à elle, Monte décide de ne pas rester en prison, de profiter de cette offre et de cette mission pour qu'on le laisse tranquille. Juste pour être, je ne sais pas, peut-être qu'il a de l'espoir. Mais ce n'est pas seulement une question d'espoir. Il est question de "vais-je être mieux là-bas que dans cet horrible couloir." Ce n'est pas exactement la même personne héroïque, je ne pense pas, mais ils ont peut-être la même folie. Non, je pense que Maria est plus folle. Elle est vraiment complètement folle.
Le rôle de Monte était à l'origine imaginé pour un homme plus âgé, peut-être même Philip Seymour Hoffman.
Denis : Oui, mais je ne lui ai jamais demandé. J'avais en tête quelqu'un qui était un peu fatigué comme lui. Mais, bien sûr, je ne lui ai jamais demandé. C'était juste une image pour moi quand j'écrivais le scénario, vous savez ?
Pattinson : Il y a ce truc où, quand nous parlions de Monte, il y avait quelque chose à propos de lui où si c'était un gars plus âgé, vous devenez relativement quelqu'un qui n'a rien pour vivre. Mais je pense que Monte essaie de forcer sa vie à être la même tous les jours. Il se dit,"Je veux me réveiller et ne rien ressentir. Comprendre comment se débarrasser de tout ce qui est vivant. Vivant en moi, tout ce qui peut avoir l'air vivant."
Denis : Mais c'est vraiment comme un moine tibétain. D'être à ce moment où vous n'avez besoin de rien.
"Oui, comme le texte "la chasteté plutôt que le vice". Est-ce que le rôle a été plus orienté vers Robert, où est-ce lui qui s'est adapté pour jouer quelqu'un qui colle au personnage tel qu'il a été écrit ?
Pattinson : Vers moi en tant que personne ? Je suis définitivement plus pour le plaisir plutôt que la chasteté ![Rires]
Denis : Tu as changé immédiatement je pense.
Pattinson : Je me souviens d'être dans ma chambre d'hôtel - ma chambre d'hôtel étrange qui ressemblait à un club de strip-tease avec ces lumières vertes bizarres dans la salle de bain - ne sachant pas vraiment ce que je faisais à l'époque et ne pensant pas à mon texte. J'ai sur mon téléphone ces vidéos étranges où j'essaie de manipuler mon corps dans des formes étranges. Peut-être que c'était une chose complètement inopinée, mais je pense que Monte essaie d'avoir une sorte de contrôle sur son corps, donc je voulais puiser cela en moi-même. Dès que nous avons été sur le plateau de tournage et que nous avons fait les tests pour l'éclairage, c'était presque immédiat : je savais qu'il y avait quelque chose avec le costume qui me donnait envie de faire quelque chose de carré. Je voulais que cela soit lourd. Lors du premier test, je me suis rendu compte que j'avais une manière différente de marcher.
Denis : Je t'ai vu changer. Je t'ai vu te transformer. Je ne comprenais pas comment tu travaillais, mais j'ai vu à quel point tu étais différent quand nous avons commencé à tourner. Je me souviens de la scène où tu te rases. C'était quelque chose qui venait de toi. Et ça m'a beaucoup plu.
Donc, pour vous, il s'agissait plus d'un point d'entrée physique dans le personnage plutôt qu'émotionnel ou psychologique ?
Pattinson : [hésite] Je voulais faire la scène du rasage, comme s'il ne voulait avoir aucun poil. Et je voulais exprimer cette peur constante que des personnes me touchent ou aient un contact physique avec moi, où je m'enferme dans ma coquille. Donc, je suppose que c'était quelque chose de physique. Je voulais moi-même me sentir étranger. Vous cherchez à jouer des choses qui n'ont pas de sens pour vous.
Claire, étant donné la fréquence avec laquelle vous décrivez l'Afrique post-coloniale, est-ce que l'espace vous a-t-il également fasciné, étant donné la longue histoire de conquête nationaliste partout dans le monde, et la manière dont une société riche exploite des gens marginalisés pour avoir des ressources illimitées ?
Denis : Oui, probablement. Je dis "probablement" parce que je veux exprimer ce que je ressens, mais je ne suis pas une activiste professionnelle. Je pense que je suis une personne très naïve, honnêtement. Non, c'est vrai ! [Rires] Je crois en une chose, et j'essaie de traduire cela en film.
High Life se termine sur un moment qui me semble similaire à Beau Travail, du fait qu'ils semblent exister dans un plan temporel et spatial totalement séparé du reste du film. Claire, qu'est-ce qui vous attire dans ces derniers instants fugaces ?
Denis : Cela vient d'un endroit différent. La fin de Beau Travail était dans le scénario, lui avec le pistolet et s'allongeant sur le lit. C'est sa mort, vous savez. Il se suicide. Et la scène de danse vient d'avant, quand il quittait Djibouti. Mais quand nous étions dans la salle de montage, je me suis dit : "Je ne peux pas finir comme cela, c'est trop triste. Je veux qu'il soit quelque part dans un autre monde en train de danser pour toujours." Donc nous l'avons changé. Et dans High Life, je pensais qu'ils allaient quelque part et que cet endroit était mystérieux - un lieu où personne n'est allait auparavant. Mais cela ne veut pas dire qu'ils vont mourir. Ils atteignent un endroit où personne n'est allé avant. Quand Monte dit à sa fille, "On y va ? Ça ne veut pas dire "on va mourir ?"
Pattinson : "On y va?" c'est ce que vous demandez quand vous allez danser avec quelqu'un.
Denis : Exactement.
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