L'interview :
ROBERT PATTINSON: «QUAND TU ES ANGLAIS, ON S’ATTEND À CE QUE TU TE CONTENTES DE JOUER UN PRINCE»
De passage au festival de Deauville pour présenter «Good Time», l’Anglais raconte comment le fait de tourner avec les frères Safdie a fait mûrir son jeu.
A 31 ans seulement, l’acteur britannique Robert Pattinson se démarque en superstar intrépide et cinéphile. Ex-vampire étincelant de Twilight, il édifie un parcours déjà admirable de collaborations audacieuses et d’interprétations à l’étoffe de plus en plus singulière. Affichant sa curiosité quand on le rencontre à la faveur d’un passage promo express à Deauville, il note sous nos conseils fiévreux qu’en effet, il devrait regarder la saison 3 de Twin Peaks (même s’il est déjà «frustré de n’avoir jamais été appelé à auditionner à ce casting démesuré»), et prend en note sur son portable le titre du film de Steve De Jarnatt Miracle Mile (1989) dès lors qu’il nous prend de causer apocalypse. Venu en France, entre deux jours de tournage allemand avec Claire Denis, pour vanter sa collaboration avec les frères Safdie, il débarque encore affublé d’un carré blond avec racines à vue, vestige du Connie de Good Time.
L’univers de Good Time transpire l’influence d’un âge d’or hollywoodien révolu. Vous êtes-vous inspiré de figures d’acteurs du passé ?
Malgré la part nostalgique, ce projet m’a vraiment paru inédit. Certains aspects font bien sûr penser à des classiques du genre, comme le Récidiviste de Dustin Hoffman [et Ulu Grosbard, sorti en 1978, ndlr]. On y voit une scène de braquage où le cambrioleur [interprété par Hoffman] Max Dembo hésite quelques secondes. Comme Connie, il pourrait rebrousser chemin et tout serait différent. Il est son propre pire ennemi. J’ai passé beaucoup de temps à me nourrir de la rue, à parler à des gens qui avaient été en prison, d’autres en conditionnelle, d’autres qui vivaient dans la rue. Lorsque tu demandes à quelqu’un son histoire pour le bien d’un film, il reste très ouvert et tu apprends des choses incroyables. Ça se demande difficilement sans le prétexte du cinéma. Dire : «Quels sont tes secrets ? C’est pour un film», ça fonctionne (rires) !
On peut aussi penser à Un après-midi de chien de Sidney Lumet…
J’ai vu ce film tellement de fois. C’est forcément ancré en moi, en arrière-plan. Les performances d’Al Pacino sont les premières à m’avoir marqué. Quand tu commences dans le cinéma et que tu es anglais, tout le monde s’attend à ce que tu te contentes de jouer une espèce de prince. Moi je voulais déjà jouer un fucking Pacino (rires).
A l’époque du Nouvel Hollywood, ces acteurs-stars tournaient avec les plus grands cinéastes américains du moment dès les premiers films de ces derniers. Les gros noms aujourd’hui sortent moins des sentiers battus, à de rares exceptions…
Je pense qu’il y a une grande responsabilité des acteurs à devoir se lancer dans de nouveaux challenges aujourd’hui. C’est à nous de faire en sorte que de nouvelles alchimies s’opèrent, avec des cinéastes doués et moins attendus. Dès que tu as un tant soit peu d’influence en tant qu’acteur, il faut s’en servir pour de nouveaux défis plutôt que de traquer les gros projets commerciaux, essayer d’aiguiller un public différent, plus populaire, vers des auteurs qui comptent. A la réflexion, je ne pense pas que les acteurs ou actrices cherchent particulièrement à chasser de nouveaux projets singuliers, la plupart s’en fiche, ils veulent juste travailler…
Starifié dans la saga Twilight, vous êtes-vous dit, à ce moment-là, «je vais pouvoir viser des projets plus risqués ou surprenants» ?
Tout a changé à partir de Twilight, en effet. Mais à chaque nouveau projet, j’ai acquis de nouvelles compétences, de nouvelles nuances, avec James Gray, les Safdie, maintenant Claire Denis [dans High Life, actuellement en tournage]. Au fur et à mesure, mes goûts ont changé. Il y a eu un grand tournant avec Cosmopolis [de David Cronenberg en 2012]. Ce cinéaste est un de mes héros. Cela a donc été crucial, j’y ai acquis une confiance nouvelle, et forcément j’ai commencé à me voir un peu différemment.
Aviez-vous en tête depuis le départ l’idée de bâtir une filmographie aussi composite et pointue ?
J’ai des cibles, certes. Mais tout cela prend un temps infini. Avec James [Gray] par exemple, j’étais censé jouer dans d’autres films. Mais c’était il y a quoi… sept ou huit ans. Lost City of Z a mis cinq ans à naître. Avec Claire, ça nous a pris cinq ans aussi. Si j’aime un projet, je persévère, jusqu’à ce qu’il prenne forme. En revanche, je n’ai pas de stratégie à court terme, je ne me dis pas «Hmmm, tiens, Claire Denis» (rires). Mais je mûris en moi un large éventail de désirs.
Vous pensez à quelqu’un, là, en particulier ?
Je veux vraiment faire un film avec le réalisateur colombien Ciro Guerra, et ça arrivera l’an prochain si tout se passe bien. Et j’aimerais beaucoup travailler avec Maïwenn. J’ai vraiment été marqué par son dernier film, Mon roi [en 2015].
Vous vous présentez en acteur plutôt «traditionnel», qui bosse son texte. Dans une récente interview, vous avez évoqué la part d’impro chez les Safdie et leurs acteurs. La confrontation a-t-elle été difficile ?
Oui, mais j’en suis sorti grandi. Peu d’acteurs sur le film lisaient vraiment le script. Parfois, dans une scène, je me retrouvais face à quelqu’un qui improvisait soudainement, et il me semblait très dur de faire aller la scène dans le sens envisagé. J’ai trouvé ça vraiment stressant. Et c’est palpable dans le film. Tant mieux. Plus la pression monte, plus ça enlève une bonne part de conscience de soi. C’est un vrai soulagement. Tu agis si vite que tu n’as plus le temps de te contempler.
Vous adoptez divers états dans le film, comme un métamorphe. Les visages pigmentés, les cheveux teints, les changements d’habits. Comment avez-vous vécu cette action de muer constamment ?
En commençant à se comporter légèrement différemment et à changer quelque peu d’apparence, soudain on se retrouve accueilli de façon foncièrement différente. J’ai eu du temps pour expérimenter tout ça, deux mois à New York où j’ai essayé divers costumes et accents. Je parlais aux gens dans la rue pour voir s’ils me reconnaissaient. Parfois on se sent trop conscient de ce que nous sommes. On peut vouloir un temps se débarrasser de ce jugement que l’on a de nous-même. Jouer les shapeshifter permet ça, on se trompe nous-même et on trouve un moyen de tromper les gens, c’est assez addictif. Mais je ne sais pas à quel point c’est sain (rires)…
Comment se passe le tournage avec Claire Denis, en studio à Cologne ?
C’est vraiment incroyable de travailler avec elle. Claire Denis a un monde bien à elle, très intimiste. En plus, elle a quelque chose d’assez semblable (rires)… comme un chaos créatif. Je n’ai jamais dû faire autant confiance à quelqu’un. Mais à la fin de la journée, c’est dans un film de Claire Denis que je rêvais d’être, pas dans les miens.
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