L'interview :
Robert Pattinson a une carrière des plus surprenantes, passant de la saga “Twilight” à des films de David Cronenberg et, bientôt, Claire Denis. Alors que sort sur les écrans “Good Time”, des frères Safdie, cet acteur pressé nous a parlé de son rapport au cinéma, de la manière dont il se voit et de musique.
En jouant une petite frappe dans Good Time, le polar fou et jubilatoire des jeunes réalisateurs new-yorkais Ben et Josh Safdie, Robert Pattinson pulvérise une bonne fois pour toutes son image de beau gosse. Cet acteur anglais qui a toujours fait preuve d’audace s’impose, à 31 ans, comme l’un des plus excitants de sa génération, digne relève d’un Joaquin Phoenix qui lui a chipé de justesse le Prix d’interprétation au Festival de Cannes cette année. C’est d’ailleurs dans le palace le plus rock’n’roll de Cannes, le Marriott, que nous avons pu rencontrer ce grand garçon (1,85 m) dénué de prétention. Jean et coiffure rebelle, séduction lancinante de son regard à la fois bienveillant et troublant, Robert Pattinson nous a expliqué sa quête obsessionnelle de travailler avec les talents de demain.
Pourquoi vouliez-vous jouer dans Good Time ?
J’adore les clips vidéo sous très haute tension, et je rêvais de trouver un long-métrage qui aurait la même adrénaline. Les frères Safdie ont insuflé de bout en bout ce genre d’énergie explosive, tout en signant un film minutieux et contrôlé. Je ne sais toujours pas comment ils ont accompli un tel exploit.
D’où vous vient ce désir d’urgence ?
J’ai tendance, quand je fais un film, à avoir l’impression qu’il sonne faux, ou que je suis moi-même un imposteur, et dans ce cas je me rétracte. Je ne livre qu’une prestation superficielle, en gardant pour moi mon côté plus complexe, ou du moins plus angoissé. Depuis plusieurs années, je me disais que, pour sortir de ce piège, il me faudrait un metteur en scène qui serait si rapide que je n’aurais pas le temps de réfléchir. Je cherchais quelqu’un qui me per- mettrait d’être plus instinctif.
Vous connaissiez le travail des frères Safdie, qui comptent parmi les réalisateurs les plus prometteurs du cinéma indépendant américain, mais dont le succès était jusqu’alors confidentiel ?
Oui, parce que je suis obsédé par les critiques de films, c’est la seule chose que je lis, du matin au soir, sur internet, et par la découverte de nouveaux talents. J’étais très intrigué par ces nouveaux “frères Coen” à la petite trentaine. Je savais qu’ils avaient déjà fait trois films cassavetiens (The Pleasure of Being Robbed en 2008, Lenny and the Kids en 2009 et Mad Love in New York en 2014, ndlr), des portraits de New-Yorkais marginaux avec budget minimal, caméra à l’épaule, beaucoup d’improvisation et un goût certain pour l’absurde. Ça me parlait bien.
Présentez-nous votre personnage dans Good Time.
Il s’agit de Connie, un jeune braqueur instable, qui entraîne dans ses mauvais coups Nick, son frère handicapé mental joué de façon stupéfiante par Ben Safdie lui-même. Un braquage tourne mal, Nick est arrêté et Connie essaie de le faire s’évader. Sauf que tout foire et Connie est entraîné dans un enchaînement de situations cauchemardesques. Le personnage est compliqué. Ce qui m’a aidé à le trouver sympathique est que les frangins n’avaient pas terminé le scénario quand je les ai rencontrés : j’ai pu comprendre et assimiler la mentalité de Connie pendant l’écriture.
Vous habitez ce rôle, comme vous l’avez fait dans The Lost City of Z de James Gray, où vous étiez méconnaissable en explorateur barbu à petites lunettes.
J’avais accepté The Lost City of Z non seulement pour le romanesque de James Gray, mais aussi parce que c’était deux mois de tournage dans la jungle amazonienne. Good Time, c’est plus la jungle urbaine. Pour me préparer, je suis resté deux mois enfermé seul dans la cave d’un immeuble insalubre de Harlem avec des boîtes de thon pour toute nourriture. Je dois avoir une intoxication au mercure (rires). Je n’ouvrais jamais les rideaux, je dormais tout habillé. Cela paraît extrême, mais il fallait cultiver ce sentiment d’isolement pour obtenir un résultat crédible. Ensuite, le tournage, c’était des journées de seize ou dix-sept heures. On a tout mis dans ce film.
On a aussi l’impression que les frères Safdie se sont amusés avec votre image de vampire de Twilight...
C’est vrai que j’entre brun dans le film, pour en ressortir les cheveux décolorés et le regard hagard, exsangue. Ben et Josh sont malins, ils s’amusent avec tout.
Avez-vous toujours le sentiment qu’il vous faut casser votre image de jeune premier, que vous devez encore faire vos preuves ?
Non, car je suis toujours surpris que l’on me considère comme une “belle gueule”. Je considère que je devrais prou- ver que je peux être un beau jeune premier ! (Rires.) Cette image vient du succès phénoménal de la série Twilight : les gens me confondaient avec mon personnage, c’était insensé. Mais j’espère que je n’ai pas l’air de me plaindre. D’autant que l’ère des paparazzis s’étiole, et que je vis à Londres où je parviens à avoir une vie normale. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir jouer. C’est un tel privilège...
Comment voyez-vous votre propre parcours ?
Lorsque j’avais 15 ans, un agent m’a remarqué au théâtre. Je n’ai fait aucune école d’art dramatique et je ne viens pas du milieu du cinéma. Ma mère travaillait dans une agence de pub et m’a fait passer des auditions à 12 ans. J’ai eu un peu de succès dans le mannequinat car j’étais alors assez androgyne, ça plaisait, ensuite je pense avoir eu la pire carrière de mannequin de toute l'histoire.
Vous êtes devenu égérie de Dior, photographié par Karl Lagerfeld... pas mal pour une carrière ratée !
(Rires.) Je me souviens, quand j’ai signé avec Dior, avoir été très nerveux. À l’époque, les acteurs tournaient des pubs uniquement au Japon pour être sûrs que personne ne les verrait jamais! Mais j’ai pensé que ça me rendrait bankable, et que cela inciterait de jeunes réalisateurs à m’utiliser. En cours de route, j’ai appris à apprécier l’équipe de Dior. Et un an après mon contrat, tous les acteurs se sont mis à faire comme moi ! Apparaître dans de la pub n’est plus un dilemme moral pour les acteurs.
Vous avez vite recherché des projets plus personnels, qui culminent lors de votre collaboration avec David Cronenberg.
Décrocher rapidement un rôle dans Harry Potter et la Coupe de Feu a tout fait démarrer vite, les Twilight
ont ensuite mis le feu aux poudres, il fallait calmer le jeu. Endosser le rôle de Bel Ami, pour moi qui adore Maupassant, était formidable. Retrouver, dans De l’eau pour les éléphants, Reese Witherspoon avec qui j’ai débuté au cinéma, dans Vanity Fair, La Foire aux vanités en 2005, c’était magnifique. Je suis tout aussi fier du western futuriste australien The Rover ou de Life d’Anton Corbijn... Mais Cosmopolis et Map to the Stars avec le très grand Cronenberg ont montré que j’avais mûri.
Vous êtes aussi musicien. Cherchez-vous à trouver un rôle musical ?
Je joue de la guitare et du piano et j’essaie depuis toujours de faire un film sur le groupe The Band. Ils avaient tous moins de 23 ans quand ils ont réussi, ça me fascine. Le scénario est écrit, je cherche encore un producteur et un réalisateur.
Les chansons que vous écoutez en ce moment ?
Laissez-moi regarder... (Il s’empare de son smartphone.) Il y a Donny Hathaway, Janet Jackson... J’écoute aussi de
la musique bizarre : la bande originale de Metropolis de Fritz Lang. Comment est-ce possible, c’est un film muet ! Je vous dis, je suis très bizarre (rires).
Un acteur qui vous a donné envie d’être acteur ?
Jack Nicholson.
Quel est votre état d’esprit actuel ?
Je viens d’entrer dans une phase où j’aime vraiment jouer. Je joue dans le prochain Claire Denis, un film de science- ction et son premier en anglais. Si on m’avait dit cela un jour, je ne l’aurais pas cru. Tourner avec Claire Denis, c’est le sommet de ma carrière.
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