Nouvelle interview de Robert Pattinson, Claire Denis, Mia Goth et Juliette Binoche avec Total Film

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Septembre 2018. TF émerge, sans voix, d'une projection de High Life de Claire Denis, une des principales attractions du Festival du Film de Zurich. Une histoire sur des prisonniers dans l'espace filant vers l'abysse, c'est un film de de science-fiction luttant contre les tabous, qui mène à des comparaisons avec 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick et Solaris de Andrei Tarkovsky. "Je ne pense pas avoir vu un film comme celui-ci auparavant," déclare Denis, bien consciente qu'elle plonge le public dans l'inconnu.

Cela fait 4 mois depuis que TF a rencontré l'espiègle Denis, âgée de 72 ans, à Paris, à la célébration annuelle du cinéma Français, UniFrance. Avec un casting international porté par Robert Pattinson et tourné en Allemagne et en Pologne, High Life n'est pas votre film français typique. Marquant les débuts de Denis en anglais - son film de vampire en 2001, Trouble Every Day, était partiellement en anglais, partiellement en français - et il y a une bonne raison pour cela. "Dans un vaisseau spatial vous ne parlez pas français," dit-elle sans artifice. "Vous parlez anglais ou russe."

Un projet qu'elle garde au chaud depuis 15 ans, Denis devait au départ travailler avec l'auteur de White Teeth, Zadie Smith et son partenaire Nick Laird, mais ils se sont rapidement séparés. "Nous étions opposés sur tout," a raconté Denis plus tard lors d'une conférence de presse à New York. "Nous ne partagions aucun mot." (Smith voulait même changer le titre pour 'A New Life'). A la place, Denis a fait équipe avec son fidèle co-scénariste Jean-Pol Fargeau, qui a consulté l'astrophysicien spécialisé en trou noir et en physique des particules, Aurélien barrau.

Ce qui est sorti de cette collaboration fébrile était un document de 18 pages. "C'était assez technique, le texte original, donc c'était assez difficile de savoir de quoi il s'agissait," admet Pattinson, qui joue le survivant avec les cheveux rasés, Monte. C'est lui que nous voyons en premier, seul avec sa fille, Willow. Nous réalisons seulement graduellement, via des flashbacks, qu'avec son équipe ce sont tous des criminels - certains sont condamnés à mort - à qui ont a proposé la rédemption dans l'espace.

Parmi eux, il y a la junkie Boyse (Mia Goth), le père de famille Tcherny (André Benjamin) et le capitaine du vaisseau Chandra (Lars Eidinger), pour une mission visant à tirer l'énergie d'un trou noir - inspirée par la vraie théorie, le processus de Penrose. Mais ces cobayes ne savent pas qu'ils ne reviendront jamais. A bord il y a également une "chamane du sperme", le Dr Dibs (Juliette Binoche), une scientifique dérangée - avec son propre secret meurtrier - obsédée par l'utilisation de l'insémination artificielle pour procréer des bébés qui ne mourront pas à cause de la radiation.

"Ce sont des gens vraiment tordus!" plaisante Pattinson, qui appelle High Life un film "d'inceste spatial". "Cela laisse lourdement entendre que Monte ne sait pas vraiment comment contrôler ses sentiments vis à vis de sa fille C'est juste une de ses personnes qui laissent les choses se développer et qui a peur d'avoir un monstre en lui, il doit donc s'imposer cette discipline. Quand il était enfant, cela lui a permis d'être héroïque selon lui, mais ensuite tout s'est effondré."

Au début du film, on voit Monte roucouler avec sa progéniture, dans les scènes les plus tendres de la carrière de Pattinson. "Cela a complètement changé ma façon de voir le personnage," dit-il. "Je voulais le jouer bien plus dur et étrange. Mais c'est assez difficile de faire cela quand c'est seulement [vous] et un bébé!" De plus, l'enfant appartient à un des meilleurs amis de Pattinson, qui est venu sur le tournage avec sa femme. "Donc ils regardaient à travers le moniteur et j'agissais comme un fou avec leur enfant!"

Le premier signe de folie vient quand Monte commence à dire à Willow que manger sa propre merde et boire sa propre urine est un tabou. Comme dans beaucoup de choses dans High Life, l'origine de la scène vient de la réalité, après que Denis ait commencé à lire sur les astronautes s'entraînant pour Mars. "C'est vraiment possible de boire sa propre urine. Pas de problème avec cela," dit-elle. "Maintenant, de recycler sa merde, cela commence à être un problème. C'est un tabou. De dormir avec sa fille est aussi un tabou. Donc c'est intéressant d'une certaine manière...le processus du film est un processus de recyclage."

Malgré son humeur morbide, le film de Denis est également un travail profond et poétique sur l'humanité. " A son niveau fondamental, cela exploite la solitude, le besoin de connexion des humains et les extrêmes qui vont avec, pour avoir cela dans nos vies," raconte Goth, qui a fait High Life juste après le remake de Suspiria par Luca Guadagnino. L'espace symbolise ceci, ajoute t-elle. "Mais même au plus profond de notre solitude et de notre sentiment d'isolation, nous trouvons une manière d'y mettre du sens, une validation et une connexion avec les humains."

Avec un tél matériel risqué, High Life a passé des années en développement, assez pour que le casting vienne et reparte. Pour jouer Monte, Denis envisageait sa star de Trouble Every Day, Vincent Gallo et le regretté Philip Seymour Hoffman, avant qu'il ne décède. On lui a également "demandé de considérer" Daniel Graig. "Cela aurait donné un tout autre film," dit elle, avec ironie. Mais Denis à docilement rencontré Craig. Donc qu'est-ce que cela a donné ? "Je crois qu'il m'a complètement oublié," rigole-t-elle. "Je suis allée au studio Pinewood, il finissait James Bond. Son agent était là. Je ne suis pas sûre qu'il était vraiment intéressé."

Pattinson, d'un autre côté, l'était. Il a vu le drame colonial de 2009 de Denis, White Material, au milieu de sa vingtaine, et a ensuite passé 3 ans à pousser ses agents à organiser une rencontre avec elle. Denis savait qui il était; elle avait vu les 5 films Twilight. "J'étais intriguée par Twilight," admet-elle. "Mais je ne savais pas qu'un jour je voudrais travailler avec Rob." Néanmoins, elle pensait au départ qu'il était trop jeune pour le rôle. - "Un gars" selon Pattinson, "dans sa cinquantaine".

Quatre années supplémentaires sont passées et Pattinson avait 31 ans au moment du tournage en 2017. "L'attente pour que le film se fasse enfin a été longue," dit-il (l'acteur est resté loyal au film, même quand ça c'est presque entrechoqué avec son travail dans The Lost City Of Z). "Chaque fois que j'appelais, on me disait, 'C'est reporté - tu es libre de partir,' dit-il., "'Non!'" se rappelle Denis. "Il a été d'une grande aide avec sa confiance. Sa confiance a été mon meilleur compagnon sur ce film."

Cela a pris une autre direction avec Patricia Arquette. Originalement choisie pour jouer Dr Dibs, la star de Boyhood s'est retirée pour être remplacée par Binoche, qui venait juste de travailler sur le précédent film de Denis, Let The Sunshine In. "Si Claire Denis me demande de travailler de nouveau avec elle, je dirais, 'Absolument, oui,' car j'aime sa façon de travailler." s'enthousiasme Binoche, qui n'est pas étrangère à la science-fiction après le remake de Ghost in the shell en 2017 et Godzilla en 2014.

Avec un temps de répétition de trois semaines avant le tournage dans un studio à Cologne, Denis a envoyé son casting à l'agence spatiale européenne, aussi basée dans la ville allemande. "Nous avons pu nous y rendre et parler avec des astronautes et des physiciens... des gens que vous ne rencontrez probablement pas dans votre vie de tout les jours," raconte Goth. "C'était très aidant."

Parmi eux, l'astronaute français Jean-François Clervoy et l'astronaute instructrice de l'ESA, Laura André-Boyet.

En plus de leçon sur l'histoire du voyage spatial, le casting a aussi expérimenté des installations d'entraînement et s'est familiarisé avec des vraies expériences scientifiques à bord. "J'ai beaucoup pensé au fait d'aller dans l'espace et cela me terrifiait," dit Goth. "Je ne sais pas si je pourrais le faire. Je suis un peu claustrophobe pour commencer et l'idée de ne pas avoir de contrôle est très effrayante pour moi."

Toutes les recherches du monde, toutefois, ne pourraient pas préparer au voyage dans l'imagination de Denis; surtout à la séquence déjà célèbre de la 'Fuckbox'. A bord du vaisseau, cette pièce toute noire contient une machine avec un gode en argent pour la satisfaction sexuelle des participants (dans l'espace, il semble que personne ne peut entendre votre orgasme). "La "Fuckbox" est quelque chose de si désespérée, vous savez ?" dit Denis. "La solitude absolue. C'était important pour moi." Le Dr Dibs l'utilise, avec Binoche se tordant nue - presque comme une danse interprétative - avant que les fluides ne jaillissent partout.

La courageuse Binoche a immédiatement accepté l'idée. "J'adore les challenges!" crie-t-elle. "Une fois elle m'a parlé de cette scène...Je ne savais pas comment nous allions la faire, elle ne savait pas comment nous allions la faire...mais pour moi c'est comme une sculpture, comme [l'artiste qu'elle a joué en 2013] Camille Claudel." Pattinson qui a travaillé avec Binoche sur Cosmopolis de David Cronenberg, a été déconcerté quand il a vu la scène pour la première fois. "C'est si audacieux," dit-il. "C'est comme la personnalité de Claire. Pour une personne si petite et adorable...Elle a cette vraie tendance perverse en elle."

Avec l'artiste islandais Olafur Eliasson comme directeur artistique, le vaisseau a été créé sur deux étages, incluant un jardin luxuriant. "Nous avions un tout petit plateau," dit Denis, qui a également collaboré avec DoP Yorick Le Saux (un partenaire régulier d'Olivier Assayas et de François Ozon). Avec le plateau éclairé uniformément, cela a laissé de la place à l'interprétation du scénario minimaliste. "Vous aviez pas mal de liberté," se souvient Pattinson. "Vous pouviez bouger partout. C'était une équipe de rêve."

Une grande partie est à attribuer à Stuart A. Staples - du groupe de Nottingham, Tindersticks, avec qui Denis travaille depuis 1996. Il a crée une bande originale atmosphérique avant même qu'une seule scène ne soit tournée. Il en résulte une aventure, une galaxie très éloignée des standard extraterrestres d'Hollywood. "Tous ces films ont ce thème de la conquête, avec des équipes militaires contre les aliens... Je ne peux pas," dit Denis. "C'est plus un film de prison. Cela parle de personnes condamnées."

Merci à @sallyvg