jeudi 18 avril 2019

Interview de Claire Denis et Robert Pattinson avec GQ


Ajout de la traduction française :

High Life est un film difficile à regarder, saturé de lumière, de scènes de sexe graphiques et de violence. C'est toujours plus difficile d'en parler avec quelqu'un, c'est pourquoi la scénariste/réalisatrice Claire Denis et Robert Pattinson me contredisent souvent et se contredisent quand ils décrivent le thriller spatial.

Denis fait ses débuts en anglais avec High Life, qui suit le prisonnier Monte (Pattinson) sur un vaisseau spatial parti pour nulle part et qui fut autrefois le lieu d'une série d'expériences troublantes autour de la reproduction humaine. Il est le dernier prisonnier vivant, chargé de maintenir le vaisseau en état de marche et de prendre soin de sa fille en bas âge, pour qui le seul monde qu'elle connaîtra jamais est la prison dans laquelle ils vivent.

GQ a rencontré Denis et Pattinson pour parler de High Life et pour découvrir, au mieux de leurs capacités, ce que ce film particulièrement difficile signifie pour eux.

GQ : High Life a fait sa première à Toronto il y a environ 6 mois. Étiez-vous nerveux que les gens le voient enfin ? Excité ?

Claire Denis : J'essaie de ne pas penser à cela, sinon je panique.

Robert Pattinson : C'est une longue attente. Il semble qu'il y ait tellement de publicité, vous obtenez de la publicité, des critiques et tout sort lors du festival. Et puis, c'est normalement au moins 6 mois avant sa sortie, c'est un système très étrange.



Je l'ai regardé et j'ai adoré, c'est l'un de ses films où vous avez besoin de vous asseoir une minute. Je me souviens qu'en sortant un de mes amis a dit, "Alors, qu'en penses-tu ?" Et j'ai dit "Je ne veux pas vraiment en parler pour le moment." Il a besoin de faire son effet. Qu'avez-vous ressenti quand vous l'avez lu pour la première fois ?

Pattinson : Je ne savais pas ce qui se passait [rires]. Il y avait des éléments vraiment, vraiment gros, qui étaient vraiment frappants, mais c'était aussi très clairsemé sur la façon dont tout se met en place. Et aussi, vous savez, quand vous avez quelque chose qui se passe sur une si longue période de temps, 12 ans environ. Avoir un film sur plus de 12 ans avec les mêmes personnages et vous êtes, essentiellement, dans la même pièce durant 12 ans. Eh bien, vous pensez également que, dans l'espace temps, deux cent milles ans ont passé, c'est quelque chose de fou.

Mais je suppose que lorsque vous avez un scénario de Claire Denis et que c'est dans l'espace, c'est Waouh et vous ne pouvez tout simplement pas refuser.

Pattinson : Oui, je veux dire, je ne comprends pas vraiment... je n'ai jamais vraiment compris quoique ce soit. Cela signifie que quand je regarde un film, je ne me demande que si j'ai aimé ou s'il a fait sens pour moi ou non. Je me souviens que [David] Cronenberg a dit quelque chose à ce sujet. J'avais terminé Cosmopolis et je lui ai demandé ce qu'il en pensait, ce qu'il pensait que ça donnerait. Il a dit, "Je ne veux pas vraiment savoir de quoi il s'agit. Dès que vous savez de quoi il s'agit, il est mort." Et puis, chaque fois que je pense savoir de quoi il s'agit, c'est presque inévitablement faux. Donc j’essaie de rester dans l'ignorance.

Savez-vous de quoi High Life parle, Claire ?

Denis : Non, mais je ne comprends pas Cosmopolis. Mais je veux dire, la compréhension ne m'intéresse pas, honnêtement. Ce n'est pas une blague, je n'ai pas besoin de comprendre, j'ai besoin de me sentir bien à propos de quelque chose, c'est tout ce dont j'ai besoin.

Qu'est ce qui vous fait sentir bien en poursuivant ce film, cette histoire ?

Denis : D'avoir ce gars seul, loin du système solaire, avec le bébé et d'être en vie et la nécessité de rester en vie pour elle. Tout cela m'était cher. J'aime aussi beaucoup l'idée que la Fuckbox existait, que le jardin existait, que Dr Dibs (Juliette Binoche) était folle et essayait de voler, de reproduire... Je veux dire, je ne sais pas, chaque scène était agréable pour moi.

Mais pour comprendre, c'est vrai que c'est difficile. Parce que moi-même, je ne comprends pas tellement de choses.

J'ai lu quelque part que vous aviez écrit le film avec Philip Seymour Hoffman en tête au départ pour le-

Denis : [Elle agite la main, clairement émue] C'est quelque chose que je dois dire. Quand j'ai écrit la première version  avec mon compagnon d'écriture, Jean Paul, j'avais imaginé que Monte était un gars peut-être dans la quarantaine ou la cinquantaine. Il était fatigué de la vie après avoir été dans le couloir de la mort et il accepte d'y aller, peut-être pour mourir plus vite. Donc il n'avait absolument aucun désir, il ne voulait rien, en fait. J'aurai pu dire : c'est moi, parce que je suis comme cela aussi.

Mais j'ai imaginé quelqu'un comme Philip Seymour Hoffman parce que je me souviens que c'est un acteur qui pourrait l'être. Je pouvais comprendre qu'il pouvait être très fatigué et déprimé, mais aussi plein d'une énergie très passionnée. Mais c'était juste une idée, je ne lui ai jamais demandé, vous savez ? Et durant le processus d'écriture, il est mort. Ensuite je ne m'imaginais plus personne. Je ne voulais pas trouver quelqu'un comme [lui]. Cela ne m'intéressait pas. Ensuite j'ai rencontré Robert.

Qu'est-ce qui vous a attiré chez Robert ? Avez-vous dû adapter le scénario ou la direction ?

Denis : Non. Je pense que le film a été reporté et reporté et reporté et qu'au moment où nous avons commencé à tourner, nous nous connaissions mieux. La seule petite préparation que nous ayons faite a été d'aller à l'agence spatiale européenne à Cologne, où nous avons vu beaucoup de choses et de gens intéressants. Mais c'est le seul moment où nous pouvons dire que nous nous sommes préparés.

Et bien sûr, comme d'habitude, les costumes. Le costume est une manière très secrète de parler du personnage. Il n'y a pas de meilleure façon, car vous ne parlez pas du personnage et pourtant tout est là.

Claire, avez-vous beaucoup travaillé sur la physique de l'espace, ou cela ne vous inquiétez pas vraiment? C'est un film très onirique après tout.

Denis : Je m'en souciais. J'ai rencontré cet astrophysicien qui a été comme un professeur pour nous. Oui, c'était génial d'être capable de connaître que 12 ans à bord de ce navire signifiaient peut-être 250 ans sur Terre.

N'est-ce pas terrifiant ?

Denis : Bien sûr. Et l'idée de monter jusqu'à 80% de la vitesse de la lumière vous rend fou, je veux dire, tout cela est génial, c'est génial.

Pattinson : J'adore le fait que l'espace-temps soit non linéaire. Ça va un an, deux ans, trois ans, quatre ans. Ensuite, cela monte graduellement vers sept ans et puis soudain, c'est deux cent mille. C'est.. absolument-

Denis : on dit "Exponentiel," en français.

Pour parler de cet étirement du temps, le film est présenté hors séquence. Je suis sûr qu'en tant qu'acteur, cela peut être difficile en terme de-

Denis : Etes-vous sûr ? Je pense que les flashbacks [dans High Life] sont faciles, non ? Le vaisseau est vide et soudainement Monte se souvient de l'équipe et nous l'avons vu jeter les corps. Pour moi, ce n'est pas très compliqué. L'autre jour, j'ai vu Vice et ces flashbacks sont difficiles à suivre. Et je me suis dit, "Waouh, c'est délicat, tous ces flashbacks."

Peut-être que casse-tête n'est pas le bon mot. Mais pour ce qui est de jouer dans quelque chose de ce genre, il est évident que vous devez tourner dans le désordre. Comment vous orientez-vous pour vous rappeler, "D'accord, Monte pense cela de sa dernière scène, et je dois me comporter de cette façon"?

Pattinson : Je pense que c'est assez compliqué. Même assez tôt, quand vous commencez et rencontrez un personnage pour la première fois et qu'il est déjà vraiment aux prises avec le désespoir. Regardez, vous avez déjà passé beaucoup de temps en prison sur Terre, et ensuite vous êtes envoyé dans l'espace. Cela dit fondamentalement, "Comment quelqu'un ferait-il s'il avait été confiné à l'isolement pendant 20 ans ?" Par exemple, certaines personnes sont complètement normales, d'autres sont devenues complètement folles. Beaucoup de son caractère est basé sur le fait qu'il essaye de respecter une discipline.

Donc, je pense que si vous essayez d'avoir cette discipline psychologique rigoureuse, c'est un des principes centraux de son caractère. Je pense que, probablement, vous savez, la seule chose qui brise son contrôle c'est quand il se rend compte qu'il a sa fille. Mais même dans ce cas, il est stoïque.

Denis : Je dois dire, pour ne pas te contredire, que c'était étrange la façon dont nous étions dans ce studio, dans le vaisseau toute la journée, de retourner dans le même hôtel tous les soirs. Lumière de jour et de nuit. Tout cela se trouvait dans l'ordinateur comme si nous étions également entrain de nous déplacer dans l'espace d'une certaine manière. Donc le soir, quand nous retournions à l'hôtel pour boire une bière ou un verre de vin, nous avions l'air d'extraterrestres, vous savez ? Nous avions été ailleurs.

Si je passe une heure dans un supermarché, mon cerveau commence à se détraquer, avec tout cet éclairage, comme vous dites, un éclairage uniforme, cela vous fait quelque chose. C'est très contre nature en quelque sorte.

Pattinson : Surtout quand vous tournez sur un plateau rouge. Cela vous fait quelque chose. C'est assez incroyable.

J'ai regardé Trouble Every Day quand j'étais très jeune. Trop jeune. Ça m'a retourné.

Denis : Bien.

Mais il y a des similitudes sur le fait que le sexe et la violence sont des choses innées dans l'humanité qui est peut-être supprimée et qui devient évidente quand il n'y a pas d'inhibition. 

Denis : J'ai l'impression que c'est comme cela dans le monde. Le vrai monde. Le sexe est important mais je ne vois jamais des personnes ne pas essayer de le réprimer. Je veux dire, le sexe est partout, même dans la nourriture. C'est comme en prison. Si vous lisez, je ne sais pas si vous avez déjà lu Jean Genet. Ses mémoires sur son passage en prison, la seule chose qu'ils ont en tête c'est de baiser avec les autres, ou de se masturber jusqu'à la mort. 

Pattinson : [A personne] Se masturber à mort. 

Denis : C'est vrai ! La prison est un lieu plein de frustration, à cause du sexe est, bien sûr, de la liberté d'être dehors, de fuir, de creuser un trou. C'est quelque chose. Mais ensuite, l'autre échappatoire c'est le sexe. Rien d'autre. Si vous n'êtes pas en prison, vous pouvez consommer de la drogue ou de l'alcool. Mais pas en prison. 

Le film donne également l'impression d'être assez visionnaire et très d'actualité au sujet de l'incarcération, surtout aux Etats-Unis, c'est presque une parabole en un sens. 

Denis : J'ai vu dans le New York Times ce matin, cet article sur la prison, oui. C'est une grande question, la peine de mort. Je me souviens quand cela a été aboli en France. Tant de gens craignaient que le nombre de crimes augmente soudainement. Et ça n'a pas été le cas. Mais c'est vrai que la peine de mort c'est quelque chose : Pourquoi ? Ce n'est pas un sujet facile à aborder. 

Avez-vous parlé à des prisonniers, avez-vous fait des recherches sur cet aspect ?

Pattinson : Pour celui-ci, j'ai regardé beaucoup d'interviews de condamnés à mort. Il y en avait une, je ne me souviens plus qui a fait le documentaire, mais cela parle des plus jeunes condamnés à mort. Je crois qu'il y avait un enfant de 13 ans, qui a été condamné à mort. Tous les personnages dans High Life, devaient être... le personnage de Mia [Goth], par exemple, a dû être plongé la dedans quand elle était extraordinairement jeune, et je trouve toujours cela très intéressant à voir. Vous ne savez pas qui vous êtes à 13 ans, donc de voir ce à quoi ressemble le regard des gens quand vous savez que vous ne sortirez jamais de prison. Et d'essayer de comprendre comment vous construisez une sorte vie pour vous-même. 

Denis : C'est lié à la conviction que quelqu'un peut changer. Il est mauvais. Elle ou il restera mauvais. Certaines personnes sont tellement foutues qu'elles ne changeront probablement jamais. Mais c'est tellement génial de penser que quelqu'un peut changer. Décider de la peine de mort signifie qu'il n'y a pas de changement possible : "Vous êtes mauvais, vous êtes mauvais." Je pense que de croire qu'il y a toujours de l'espoir que quelqu'un puisse changer est vraiment une bonne raison de vivre. 


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